Publié le Mercredi 25 novembre 2015 à 10h28.

Solidarité migrant-E-s : Ce front qui a ouvert la brèche dans l’état d’urgence !

Ils et elles étaient à République ce dimanche, des centaines, pour des hommages aux victimes des tueries. Quand le cortège, venu de Bastille, est arrivé en scandant « Liberté », ils et elles ont applaudi. Mais aussi les deux autres slogans, « Solidarité avec les réfugiéEs, avec les sans-papiers » et « État d’urgence, État policier, on ne nous empêchera pas de manifester ».

Un peu plus d’une heure auparavant, à Bastille, la confiance était montée avec le gonflement du nombre de manifestantEs : un cortège significatif du NPA, Sud éducation, le service d’ordre de Solidaires... Une vingtaine de réfugiés afghans du campement évacué de République, des sans-papiers de la CSP75. Et des dizaines et des dizaines de ceux et celles qui ont participé au mouvement de solidarité depuis des mois. Et des membres de l’UJFP, du DAL, d’Ensemble, d’AL, de la CNT, des militantEs anti­fascistes et des militantEs des quartiers et contre les violences policières... Entre 500 et 700 personnes venuEs dire que c’était la réponse, en solidarité avec les migrantEs. Malgré l’interdiction.

Plusieurs centaines de manifestantEs sont alors partis en cortège vers République. À plusieurs ­reprises, le dispositif policier, assez light il faut le dire et avec sans doute des ordres pas très clairs, a été débordé. Sans jamais arrêter les slogans. Ni les manifestantEs.

Se rassembler, manifester, ces expressions de solidarité avec les migrantEs, de refus de toute restriction des libertés étaient les meilleures réponses aux tueries. Car Daesh et le pouvoir ont au moins un but commun : nous interdire la rue, limiter nos libertés, nous faire peur.

Le front des migrantEs

Ce n’est pas un hasard si le premier front qui a tenu puis réussi à faire sauter une digue dans l’état d’urgence est celui où les risques étaient les plus grands : la solidarité avec les migrantEs.

D’une part parce que ce mouvement ne cesse de braver et de défier les autorités depuis plusieurs mois. D’autre part parce que l’antagonisme avec l’état d’urgence y est direct. À qui fera-t-on croire que la multiplication des contrôles, dans les transports et dans la rue arrêtera les membres organisés d’une structure préparant des attentats ? Cela augmente par contre considérablement les risques de tout déplacement pour les sans-papiers et les réfugiéEs.

Avec l’état d’urgence le système des frontières prend toute sa signification : il n’est pas seulement une entrave à la liberté de circuler entre les pays, il développe ses tentacules à l’intérieur des pays. L’espace qu’il interdit n’est pas uniquement l’espace physique du déplacement, il est aussi celui des expressions et des contestations. Contre les migrantEs mais, de fait contre tous les Noirs et les Arabes, il définit un espace idéologique raciste – celui de « l’union nationale » – qui cherche paradoxalement à abolir certaines frontières qui n’ont rien de géographiques : les frontières de classe. C’est pour cela que son territoire privilégié est celui du privé : restez chez vous, là où vous êtes atomisés, là où l’idéologie dominante vous parle via la télé et la radio.

Et maintenant ?

La police a transmis au procureur les identités de 58 manifestantEs accusés de « ne pas avoir respecté l’interdiction de manifester ». Si cela se confirme, nous serons touTEs des « braveurs et braveuses d’interdiction ». L’appel à un rassemblement contre l’état d’urgence, à République ce jeudi 26 novembre, a déjà commencé à circuler. Et la brèche ouverte doit s’élargir avec le maintien de nos capacités à manifester, que ce soit au côté des salariéEs d’Air France ou à l’occasion de la COP21.

La solidarité autour des migrantEs est aussi plus que jamais nécessaire. Les migrantEs qui sont à la rue sont plus en danger que jamais. C’est particulièrement le cas à Calais. Et celles et ceux qui sont dans des centres, outre les conditions indignes pour certains, voient leurs perspectives de régularisation plus fragiles encore. Tout comme c’est le cas pour les sans-papiers.

Cette solidarité engage le monde que nous voulons. Celui de la guerre entre les peuples et entre les religions, qui est celui des nationalismes et de la fermeture de toutes les frontières ? Ou celui qui unit les dominéEs contre les dominants, contre la guerre, pour l’ouverture de toutes les frontières qu’on nous impose ?

Pour notre part, nous avons choisi. Regardez les photos, les vidéos : à Bastille, à République, ce dimanche ce n’était pas la peur qu’on lisait sur les visages mais la joie d’avoir, ensemble, montré que tout n’était pas perdu. Le plus grand défi à tous ceux qui veulent assassiner la liberté, le meilleur hommage à tous nos morts.

Denis Godard