L’esclavage légalisé… Voilà ce que les contrats OMI (Office des migrations internationales) permettent chaque jour en France. Dans les Bouches-du-Rhône, à Istres, dix-huit ouvriers saisonniers marocains ont décidé de mettre fin à un calvaire qui dure pour eux depuis cinq ans, dans l’indifférence générale. Entressen, Mas de la Melonnière, jeudi 24 juin. Il est 19 heures, les dix-huit ouvriers marocains de l’exploitation terminent leur travail. Deux d’entre eux sont partis chez un médecin. À leur retour, l’employeur explose ! Après les avoir insultés, il s’attaque plus particulièrement à l’un d’eux : gifles, étranglement, jets de vaisselle au visage, sa colère semble sans limites. Mais ce jour-là, les salariés décident collectivement de dire stop. Dès le lendemain matin, ils font constater les blessures à l’hôpital, portent plainte et prennent contact avec un syndicat. Dans l’après-midi, représentants syndicaux et salariés se rendent sur l’exploitation pour dialoguer avec le paysan… Face à eux, une quinzaine d’hommes (tous exploitants agricoles des environs) sont armés de masses, de bâtons. Après quelques insultes, ils chargent, blessant deux ouvriers à la tête avec de grosses pierres, ainsi que le représentant régional de la CGT agricole. La police est prévenue. Les blessés gisent à terre, mais la force publique ne se presse pas : « il n’y a pas mort d’homme » déclarent-ils aux personnes présentes… Mis en sécurité et exerçant leur droit de retrait, les saisonniers commencent à parler… « Dans ta chambre ! », c’est ainsi que pendant des années, l’exploitant punit ceux qu’il nomme son « troupeau ». Toutes les excuses sont bonnes : « celui qui ne me préviendra pas la veille qu’il sera malade le lendemain sera puni quinze jours dans sa chambre ! », « Tu fumes une cigarette ? Tu as trop d’argent, dans ta chambre », ou encore « Tu me regardes dans les yeux ? Dans ta chambre »… Chaque jour de punition est déduit du salaire mensuel. Les ouvriers ont six mois pour gagner de quoi faire vivre leur famille tout le restant de l’année et travaillent d’arrache-pied. Pour près de 300 heures effectuées dans les champs, seules 110 à 130 sont comptabilisées et payées. Chaque année, un ou plusieurs ouvriers sont battus et les humiliations constantes. Et le pire est à craindre : tous racontent comment le « patron » traite chimiquement les arbres pendant qu’ils travaillent sans aucune protection. Et le patron détient une arme absolue : le contrat de l’année suivante ! La loi française permet en effet aux exploitants agricoles des Bouches-du-Rhône de recruter les contrats OMI nominativement. Ceux qui tentent de faire respecter leurs droits ne reviennent jamais. Tous les saisonniers immigrés le savent et se taisent. Les exploitants français disposent ainsi d’une main-d’œuvre efficace, sous payée, disponible car logée sur place, et recrutée en fonction de sa résistance physique. Soumis et dépendants de par la nature même du contrat, les « OMI » sont devenus des « permanents à temps partiel ». Chaque année, ils viennent donc pendant six mois, en toute légalité, ramasser pêches, cerises et abricots. Ils disposent d’un titre de séjour qui n’est valable qu’avec leur contrat de travail. Pieds et poings liés, les salariés OMI baissent la tête et espèrent que l’année suivante, les heures supplémentaires seront payées, comme le « patron » le promet chaque année. L’utilisation d’une main-d’œuvre étrangère est habituelle dans le sud de la France, car elle permet de réduire les coûts de production et de rester concurrentiel sur le marché international. Aujourd’hui, les dix-huit ouvriers de la Melonière sont en « conciliation » à la direction du travail et exercent toujours leur droit de retrait, craignant que les patrons ne reviennent armés pour les punir. La préfecture a été saisie. Pourtant, depuis le 24 juin, c’est la solidarité qui permet à ces hommes d’être logés et nourris… Un système féodal, pour engendrer un peu plus de bénéfices. L’attitude des agriculteurs démontrent leur sentiment d’impunité vis-à-vis de ces hommes qu’ils traitent moins bien que leur bétail. Véronique Granier