Publié le Jeudi 22 septembre 2011 à 22h19.

Youssoupha-Zemmour : défaite des racistes

En avril 2009, le chroniqueur Éric Zemmour portait plainte pour « faits de menace et de crime » et « injures publiques » contre le rappeur Youssoupha. En cause ? Un des morceaux de ce dernier – À force de le dire, texte fleuve contre les politiques actuelles et les idéologies réactionnaires – et ces quelques mots : « À la télé souvent les chroniqueurs diabolisent les banlieusards / Chaque fois que ça pète on dit qu'c'est nous / J'mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d'Eric Zemmour. »1 Par cette opération de communication, Zemmour réussit, dans un premier temps, son énième tentative de déligitimation du rap, pratique artistique populaire par excellence. Après avoir déclaré sans complexe en 2008 : « le rap est une sous-culture d’analphabète »2, il joue sa crédibilité de journaliste pour faire s’affronter des modes d’expression différents et la morale dominante à celle supposée inexistante des rappeurs. Ainsi, le Figaro n’hésita pas à titrer « Menace de mort contre Éric Zemmour » photo anxiogène de Youssoupha – grand, noir et à capuche – à l’appui.

Le soutien dominant à Éric Zemmour semble s’être émoussé lorsque le rappeur a choisi de répondre à l’attaque dans les colonnes du Monde. S’il est regrettable de devoir passer par ces canaux officiels de légitimation pour être crédible lorsque l’on est noir, rappeur et des quartiers populaires, l’intelligence de son propos et son argumentation ont permis de faire pencher l’opinion publique dans son sens : « Éric Zemmour est journaliste et polémiste, je suis auteur et interprète. Il n'a jamais tué personne. Moi non plus. Nous sommes tous les deux des hommes de paroles. […] Le faire taire ? Il faut l'entendre dans le sens le plus élémentaire : le remettre à sa place, le mettre face à ses contradictions. […] À moins de s'imaginer que j'ai assez d'influence pour le faire assassiner ou que je suis disposé à le faire. Nous venons de quitter la réalité tangible. Revoilà le fantôme. Le fantasme d'un rappeur-gangster-tueur.»3

Dans sa folie judiciaire, Zemmour a également attaqué quelques animateurs de blogs, dont un mineur, ayant relayé la chanson en question. Mais pas d’inquiétude : les géants de l’industrie du disque sont sauvés, il n’y a pas de plainte contre Skyrock ou Génération !

Cette semaine se tenait le premier procès de cette affaire. Dans une salle bondée par des proches mais aussi des militants du collectif antinégrophobie, la défense ne s’est pas contentée d’invoquer la liberté d’expression. Cette échéance a été l’occasion de faire le procès de l’accusateur. Ainsi, Youssoupha a maintenu son droit à insulter Zemmour au moyen du terme « con » en citant ses attaques incessantes envers les groupes « minoritaires » : les noirs, les banlieusards, les femmes, les homosexuels, etc. Aussi, même le procureur de la République n’a pu réclamer une peine pour les accusés qui devront donc bientôt être relaxés du motif « d’injure publique ». Le procès pour menace de mort aura lieu bientôt et nous devons rester vigilant, mais il s’agit pour le moment d’une petite victoire pour le rap, la culture populaire et les antiracistes contre les idéologies réactionnaires.

Mary Sonet et Rodolphe Juge

1. Youssoupha, À force de le dire, Sur les chemins du retour, EMI, 2009.2. Éric Zemmour dans l’émission l’hebdo, France Ô, 2008.3. Youssoupha, Ces artistes fantômes que sont les rappeurs français, le Monde, 18 avril 2009.