Publié le Mercredi 11 novembre 2020 à 12h24.

Fernando « Pino » Solanas, grand cinéaste et militant argentin, est mort

En 1968 sortait le documentaire manifeste « L’heure des brasiers » sur les luttes ouvrières et de libération nationale. Son réalisateur, Pino Solanas, déclare alors, en paraphrasant Karl Marx : « Il ne suffit pas d’interpréter le monde, il faut le changer ! » En 2018, les femmes envahissent les rues de Buenos Aires et d’Argentine en faveur de la libération de l’IVG. Le sénateur Solanas, 82 ans, tonne : « Personne ne pourra stopper la nouvelle génération. Ce sera une loi. Il y aura une loi contre vents et marées ». Tel était l’homme qui refusait de séparer son métier de cinéaste et son militantisme pour changer la société.

Fernando Ezquiel Solanas a été emporté par le coronavirus le vendredi 6 novembre à Paris1 à l’âge de 84 ans, après avoir passé plusieurs semaines en soins intensifs.

Un cinéma de combat et d’émotions

Fernando Solanas, étroitement lié à la gauche péroniste, a été le pionnier du cinéma politique et de témoignage argentin. Dans les années 1960, il crée le groupe « Cine-Liberacion » dans le but d’aider les luttes dans le tiers monde. Son manifeste sera l’Heure des brasiers, une fresque de plus de 4 heures, interdite en Argentine jusqu’en 1973 puis réinterdite pendant la dictature militaire (1976-1983). Sous la menace de la « Triple A »2, il réalise en 1975 sa première fiction Los Hijos de Fierro3.

La dictature militaire le conduira à l’exil en Espagne puis en France.  Il réalise alors le film Tango, l’exil de Gardel, sur une musique d’Astor Piazzolla, Grand Prix spécial du Jury à Venise et Grand Corail à La Havane. De retour en Argentine, il obtient, en 1988, la consécration à Cannes (prix de la mise en scène) avec El Sur toujours sur une musique de Piazzolla.

En 1989, le populo-nationaliste ultra-libéral Eduardo Menem devient président et Solanas son plus farouche opposant. Victime d’un attentat, il doit reporter le tournage du film El Viaje. Il le réalise en 1991 et dénonce le néo­libéralisme, représentant Menem en grenouille. En 1998, il triomphe avec la Nube (le Nuage) mais les années suivantes, le militant l’emportera sur le cinéaste et Fernando Solanas reviendra au documentaire. Son Mémoire du pillage obtiendra un Ours d’Or d’honneur à Berlin en 2004. Suivront la Dignité du peuple, Argentine latente, la Prochaine Gare (contre la privatisation du transport ferroviaire), le Grain et l’ivraie.

Militant inlassable

Sa lutte contre l’impérialisme a été exemplaire. Il milita pour la nationalisation du pétrole et du gaz et pour la défense des services publics. Il était également un écologiste convaincu et lutta contre l’extraction sauvage des compagnies minières, pour la défense de l’eau (« L’eau vaut plus que l’or » disait-il), contre les cultures transgéniques. Péroniste de gauche, il fut membre du « Frepaso » (centre-gauche) qui sombra lors de la grande révolte populaire de 2002. Il crée alors son propre regroupement, « Proyecto Sur ». Il est candidat à la présidentielle en 2007 contre Christina Kirchner puis finalement élu sénateur indépendant en 2013. Siège qu’il garda jusqu’à son décès. Il fut un moment proche des socialistes mais son péronisme indépassable l’empêcha de concrétiser. En 2019, il rejoint « El Frente de Todos » (centre-gauche) qui gouverne le pays.

Sa défense de la classe ouvrière et des oppriméEs restera un exemple. Nous saluons ici sa mémoire. Sa lutte continuera.

  • 1. Il était ambassadeur de l’Argentine à l’Unesco depuis l’été 2020.
  • 2. Alianza Anticomunista Argentina, ou escadron de la mort.
  • 3. « Les Fils de Martin Fierro ». Martin Fierro est un grand poème épique argentin. Le cinéaste le rapproche de la geste de Perón, première période, qui s’opposait à l’impérialisme US.