1 CD chez Label Pince Oreilles ~ www.label.collectifpince…
Avec constance et détermination, la claviériste Anne Quillier et le clarinettiste Pierre Horckmans1 continuent de tracer ensemble un itinéraire de plus en plus éloigné des balises du jazz, et invitent sur ce troisième album Maud Chapoutier, artiste scénique aux multiples champs d’expression. Celle-ci interprète ses textes comme autant de contes, sans pour autant que la musique soit reléguée à un rôle d’ameublement ou de paraphrase. L’alchimie est remarquable ; tout est subtilement dosé, jusque dans les emballements.
« Il est toujours trop tôt pour la dernière fois »
S’émanciper des schémas éprouvés est toujours plus facile à dire qu’à faire mais, fidèle à la philosophie du collectif lyonnais Pince Oreilles dont il fait partie, le groupe s’y attelle avec une remarquable maîtrise et ce nouveau disque s’avère en cela particulièrement exemplaire. Des jeux avec les rythmes et les sons, une écriture tour à tour tendue ou atmosphérique sur des harmonies paraissant aussi évidentes qu’inédites, des ostinatos non pas prétextes à improviser sans fin mais plutôt sorte de transe intime et émouvante faisant écho aux obsessions de ces mystérieuses créatures qui servent de fil conducteur à l’album.
Questionnant la notion de réalité, la comédienne/poétesse donne vie à des chimères étonnantes qui imaginent des manières d’habiter le monde ou en inventent de nouvelles, et jette sur elles un regard empreint d’amusement communicatif. Un orgue qui perd ses dents, des « Hommes Bou », une amulette qui se transforme à répétition jusqu’à phagocyter l’univers… autant de figures inquiétantes de prime abord mais qui révèlent un désarroi qui les rendrait presque humaines, suscitant la curiosité bienveillante des autres espèces. Nous sommes cependant loin du conte pour enfants lorsque la mélancolie pointe et, au détour de phrases comme « Il est toujours trop tôt pour la dernière fois » ou « Pourquoi y a-t-il tant de cordes et jamais une flèche ? », évoque la difficulté de saisir la vie et ses opportunités fugaces. Le dernier titre « Il y a longtemps que nous marchons », modèle d’osmose entre texte et musique, clôt ainsi cet album de manière particulièrement poignante.
Dans cette période d’incertitudes et d’aléas – qui plus est pour ces artistes indépendants –, une suppression brutale de subventions met en péril leurs activités. Alors jetons-nous sur leurs disques et les concerts quand il y en aura... afin d’empêcher coûte que coûte que « les animaux qui n’existent pas... n’existent plus », la collaboration entre ces trois-là méritant résolument une suite.
- 1. Membres entre autres de Blast. Voir l’Anticapitaliste hebdo n°479.