Publié le Vendredi 5 octobre 2012 à 12h18.

Erika, AZF : TOTALement coupable !

Procès de l’Erika : la victoire de David contre GoliathAprès un combat acharné qui aura duré treize ans, le procès de l’Erika connaît une issue heureuse : les juges de la Cour de cassation confirment la condamnation pénale de Total dans le naufrage de l’Erika, et mieux encore, ajouent une condamnation civile ! Pourtant le patron de Total aura mobilisé des moyens financiers considérables et tout l’arsenal juridique possible pour gagner ce procès ! Et l’avocat général de la Cour de cassation demandait une « cassation sans renvoi de l’arrêt attaqué », c’est-à-dire une annulation pure et simple de toute procédure au motif que la justice française n’était pas compétente. Les juges en ont décidé autrement. Ce jugement est une innovation positive du droit français : il applique enfin le principe du pollueur payeur, reconnaît le préjudice écologique, étend de fait la compétence juridictionnelle de la France hors de ses eaux territoriales en vertu de la protection du milieu marin. Il fait donc « avancer » le droit français dans le sens de l’obligation pour les profiteurs pollueurs de réparer les catastrophes qu’ils provoquent. Il pourra avoir valeur de jurisprudence. Ce résultat encourageant n’aurait pas été obtenu sans les luttes unitaires et tenaces des habitants du littoral et de leurs associations, des écologistes et des ornithologistes, des travailleurs de la mer et de leurs syndicats, des éluEs locaux et des quelques partis qui ont apporté un soutien actif à cette lutte. C’est la reconnaissance que le droit à la vie des 99 % et de leurs territoires est plus fort que la loi de l’enrichissement de quelques uns.Ce jugement, en corollaire, signe bien sûr une défaite essentielle pour Total, première entreprise française, exploitant les gisements des mers et des terres de tous les continents, surexploitant les salariéEs qui y travaillent, affichant un mépris sans fin de tout respect des équilibres écologiques. Pas tant en raison des coûts financiers des sanctions : 200 000 euros sur 12 milliards de bénéfices annuels, pour Total c’est une broutille ! Mais c’est le signal qu’il pourra transporter plus difficilement n’importe quoi, n’importe comment… C’est une limite posée dans la jungle des profits : la remise en cause d’une « capitainerie » du capitalisme mondial c’est déjà une (petite) attaque réussie contre ce système que nous voulons abattre !AZF, enfin une condamnation ! La veille, à l’issue du procès AZF, la société Grande Paroisse, filiale à 100 % du groupe Total et son ex-directeur, Serge Biechlin, ont été jugés pénalement responsables de l’explosion de l’usine de Toulouse le 21 septembre 2001 par la Cour d’appel. 225 000 euros d’amende pour la société, trois ans de prison dont un ferme et 45 000 euros d’amende pour M. Biechlin, c’est le maximum requis par la loi. S’y ajoutent plusieurs millions d’indemnisation pour les parties civiles. Ce jugement est important car la responsabilité du donneur d’ordre dans la désorganisation du travail liée à la sous-traitance, l’absence de formation, l’absence de contrôle, les manquements graves aux obligations de sécurité est enfin reconnue et condamnée. C’est une victoire même si Total échappe à la condamnation directe. Tous les moyens colossaux et la stratégie du groupe, effacement des preuves, fausses pistes, négation de l’accident chimique, sont mis en échec.Deux victoires qui en appellent d’autres !Ces jugements doivent contribuer à mettre à bas l’impunité pour les crimes industriels et environnementaux et à établir la responsabilité civile et pénale des donneurs d’ordre.En s’appuyant sur le jugement de l’Erika, il s’agit de ne laisser passer aucune autre pollution maritime sans mobilisation ni procès. Mais il faut aller au-delà : agir sur les raisons mêmes de ces désastres. Cela passe par la suppression des bateaux poubelles, ce qui permettrait la création d’un plan de relance des chantiers navals publics ; la traçabilité précise de chaque navire (de son état, de ses appartenances successives) ; l’harmonisation par le haut des salaires et droits sociaux des marins d’abord à l’échelle européenne. Mais tout de suite, les gouvernements peuvent décider de supprimer les pavillons de complaisance qui autorisent le contournement de toutes les règles sociales pour les équipages et de celles de la sécurité maritime, qui favorisent l’accumulation du profit pour les affréteurs et les armateurs.De même le jugement AZF est un point d’appui pour en finir avec la sous-traitance, la déréglementation du travail et, comme le dit Jean-Paul Teissonnière l’avocat de la CGT au procès AZF, « la logique industrielle (qui) fabrique les crimes comme elle fabrique les marchandises : à grande échelle et au moyen d’une organisation rationnelle ».Chaque victoire permet de se poser collectivement les bonnes questions pour aller de l’avant : à quand la fin des industries dangereuses ? Quelles alternatives aux énergies fossiles ? Quelles qualités de transport ? Quelles conditions de travail pour les travailleurs et quelle qualité de vie pour nous tous ? Chaque victoire encourage les résistances à venir et elles devront être fortes !

Roseline Vachetta et Christine Poupin