Le devenir de l’humanité et de la vie sur la planète va se jouer à la conférence des Nations unies à Copenhague (du 7 au 18 décembre), dans le cadre de la convention mondiale sur le changement climatique. Sur trois fronts, en particulier.
En premier lieu, sur la question de savoir si les pays riches du monde sont disposés à suivre les recommandations du Groupe intergouvernemental d’étude sur le climat (Giec), mis en place en 1992 par tous les Etats des Nations unies et qui constitue le plus grand exercice scientifique de prospective et d’évaluation sur le climat réalisé au monde jusqu’à présent. Selon les travaux du Giec, l’humanité doit impérativement, d’ici à 2100, maintenir en dessous de deux degrés la hausse de la température de l’atmosphère terrestre, si elle veut éviter des catastrophes planétaires.
A cette fin, le Giec estime qu’il est indispensable que le monde diminue d’ici 2050 de 60 % les émissions de CO2 par rapport au volume des émissions de 1990 (80 % pour les pays riches et 20 % pour les autres). Quant aux objectifs relatifs à une date plus rapprochée (2012 est devenue 2020), seulement quelques pays de l’UE (l’Allemagne surtout, la France…) continuent à déclarer qu’ils sont prêts à diminuer de 20 % leurs émissions par rapport à 1990. Mais le 12 juin dernier, à Bonn, lors d’une réunion préparatoire de la conférence de Copenhague, le Japon a affirmé qu’il ne prévoit pas de diminuer ses émissions de plus de 8 %. De leur côté, les Etats-Unis de la nouvelle administration Obama ont déclaré non seulement ne pas envisager une réduction de plus de 4 %, mais ne pas vouloir demander à la Chine de prendre des engagements quantifiés précis. Un geste diplomatique qui en dit long sur l’espoir des Etats-Unis de ne pas devoir non plus se soumettre à des obligations chiffrées. Or, à Bonn, des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud ont répété, non sans raison, que, tant que les pays industrialisés n’auront pas souscrit à la fourchette haute (- 40 % en 2020 par rapport à 1990) des réductions d’émissions préconisées par le Giec, ils ne signeront pas le futur traité et refuseront des objectifs de baisses de leurs propres émissions. Le défi est clair. La responsabilité d’un tournant historique en faveur de la vie revient principalement aux pays les plus riches qui, depuis plus de cent ans, sont les plus gros consommateurs et gaspilleurs des ressources de la planète.
Le second front concerne les réticences croissantes de la part des dirigeants du monde à accepter de nouvelles régulations politiques publiques mondiales dans l’intérêt de l’humanité. Loin de conduire aux grands changements dont on parle tant, les trois crises mondiales actuelles (la pauvreté de 3 milliards d’êtres humains, la crise économique et financière et la crise environnementale) ne provoquent aucun réel changement du système qui est à l’origine de ces crises. Ainsi, les préparatifs de Copenhague mettent-ils en lumière deux tendances préoccupantes.
Sur le plan de la coopération internationale, d’abord, on constate une forte régression. S’abritant derrière l’alibi des nombreuses difficultés qui empêcheraient de réaliser des accords mondiaux efficaces, chaque pays, les plus puissants en premiers, pense à sa propre sécurité économique, environnementale et énergétique, et à sortir de la crise dans les meilleures conditions pour lui-même, en particulier pour les groupes sociaux les plus avantagés.
Deuxième tendance : tous les dirigeants semblent désormais convaincus, au nord comme au sud, que la solution à la «crise mondiale» passe par la relance de la croissance de l’économie de marché, mais de couleur verte (voiture verte, énergie verte, maison verte…). Nul ne saurait contester l’importance et l’urgence de «mettre au vert» nos économies. Colorer de vert le système économique sans modifier les principes et les modalités de fonctionnement qui sont à l’origine de la crise ne suffira pas. Avons-nous vraiment besoin de centaines de millions de voitures en plus dans vingt ans, même vertes ? Dans quelles villes circuleront-elles ? Des millions d’habitations supplémentaires à énergie passive et active, à New York, Paris, Francfort, Osaka, Dubaï, Los Angeles… ne résoudront rien pour les milliards de personnes pauvres, sans eau potable ni services sanitaires, sans habitation décente, sans accès à la santé ni à l’éducation de base. L’agence des Nations unies ONU-Habitat prévoit 2,4 milliards de personnes habitant des bidonvilles en 2030 par rapport au milliard actuel.
Le gouvernement danois a jugé opportun d’organiser à Copenhague (du 24 au 26 mai) un World Business Summit dans le but de s’assurer le soutien des entreprises et de la finance au succès de la conférence de décembre. Les participants ont approuvé une déclaration «The Copenhague Call» dont les propositions sont toutes centrées sur la priorité à donner aux innovations technologiques. Aucune référence n’est faite à des engagements précis de la part des entreprises concernant la réduction de leur consommation d’énergie et de leurs émissions de gaz à effet serre. Le premier ministre danois a publiquement exprimé son soutien à ces propositions. Dans ces conditions, quelles chances pour d’éventuelles propositions contraires aux orientations et aux intérêts du monde des affaires ?
Enfin, troisième front, et pas des moins importants, celui de l’eau (et de la paix) dans le monde. D’après les travaux du Giec, les conséquences les plus graves du changement climatique concerneront l’eau. A cause de la fonte des glaciers et des calottes polaires, l’eau douce deviendra toujours plus rare. En 2050, 60 % de la population mondiale risquent d’habiter dans des régions à forte pénurie d’eau. Les travaux du Giec démontrent que les conflits entre pays et, à l’intérieur de ceux-ci, entre les différentes régions, se multiplieront autour de la propriété et des usages de l’eau. L’«or bleu» sera l’une des principales causes de guerres du XXIe siècle.
A l’heure actuelle, de façon assez paradoxale, l’eau ne figure pas à l’agenda des négociations de Copenhague. Seule y figure la question énergétique, le problème numéro un mondial uniquement pour les pays riches. L’énergie post-pétrole a «vampirisé» les négociations sur le changement climatique. Il n’est pas possible de négocier l’avenir de l’humanité uniquement à partir de l’énergie sans prendre l’eau en compte (et donc l’alimentation, la santé…). Certains pays proposeraient que l’eau fasse partie de l’agenda pour le nouveau traité mondial. Il en va de la paix dans le monde et de la vie.
Par RICCARDO PETRELLA président de l’Institut européen de recherche sur la politique de l’eau (Ierpe), Bruxelles.