Publié le Mercredi 1 juillet 2020 à 12h20.

Nucléaire, le monde d’avant Épisode 3 : le « Grand Carénage » des réacteurs nucléaires

Comprendre leur « monde d’avant » pour construire notre « monde d’après » : état des lieux du nucléaire en France (série en sept épisodes).

La prolongation au-delà de 40 ans (EDF en demande 60) des réacteurs de première et deuxième générations est un nouvel échec du nucléaire. EDF et les gouvernements des dix dernières années annoncent la couleur avec emphase : « un projet industriel titanesque », « un projet pharaonique », « atteindre l’âge canonique de 60 ans ».

Failles en série

Ce « Grand Carénage », qui devait commencer en juin 2020 sur le réacteur 1 du Tricastin va concerner 32 réacteurs (sur 58 en service). Objectif ? Ausculter à fond la cuve du réacteur, les générateurs de vapeur, les circuits primaire et secondaire de refroidissement, les turbines et circuits électriques, les changer et les moderniser afin de s’approcher du niveau de sûreté des EPR, après Tchernobyl et Fukushima.

Première faille : ni la cuve, pièce centrale qui contient le cœur du réacteur, ni l’enceinte de confinement, qui abrite la cuve, ne peuvent être remplacées. Embêtant car la cuve du réacteur 1 du Tricastin présente des fissures depuis des années. Et l’étanchéité de l’enceinte du bâtiment réacteur, autre point clé de la sûreté, doit être garantie : il faut vérifier l’évolution des propriétés mécaniques du béton, s’assurer de sa résistance malgré son vieillissement. L’âge d’un réacteur c’est l’âge de sa cuve et de son enceinte. Or, à leur conception, il n’était pas prévu de les faire fonctionner plus de 30 à 40 ans.

Deuxième  faille : les coûts pour la collectivité. EDF a prévu de dépenser 55 milliards d’euros d’ici 2025 pour ses opérations de maintenance lourde. Or une étude mandatée par Greenpeace considère qu’il faudrait dépenser plus de 100 milliards d’euros pour atteindre un niveau de sûreté équivalent à celui de l’EPR. Sans compter les travaux urgents et nécessaires sur les piscines de combustibles usés. Pour la Cour des comptes, l’enveloppe s’élevait en 2016 à 100 milliards d’euros de dépenses d’exploitation et d’investissement sur 16 ans.
Stop à ce « Grand Rafistolage »

Enfin, et ce n’est pas le moindre des problèmes, tous ces travaux sont effectués par des milliers de travailleurEs sous-traitants (au moins 5 000 sur chaque chantier) aux conditions de travail, de salaire et de sécurité très inférieures à celles des salariéEs d’EDF. En juillet 2019, un sous-traitant d’EDF a été contaminé alors qu’il travaillait au Tricastin. Il a reçu en une fois plus du quart de la dose maximale annuelle autorisée. Mediapart a alors publié une enquête basée sur des témoignages « recueillis depuis six mois auprès de plusieurs personnes travaillant au Tricastin », selon laquelle « les problèmes s’accumulent sur le site depuis deux ans », au point qu’EDF éviterait « de déclarer des incidents à l’Autorité de Sûreté »1.

Chaque année jusqu’en 2030, deux à huit unités, soit 1 800 à 7 200 MW, atteindront 40 ans. Au lieu de les rafistoler, retirons-les du réseau et compensons-les par de nouveaux outils de production électrique renouvelables et par une baisse de la consommation. Les budgets existent, c’est le moment de les réorienter vers un arrêt définitif de la filière nucléaire.

  • 1. Jade Lindgaard, « Centrale du Tricastin : EDF triche avec la sûreté nucléaire », Mediapart, 19 juillet 2019.