Publié le Lundi 27 avril 2020 à 15h07.

Tchernobyl, le déni d’une catastrophe sans fin

Alors que la catastrophe de Tchernobyl a commencé il y a 34 ans, le 26 avril 1986, dans la centrale nucléaire V.I.-Lénine située à l'époque en République socialiste soviétique d'Ukraine, en URSS, et qu’un feu de forêt incontrôlé menace en avril 2020 le confinement de ses anciennes installations, Il semble nécessaire de revenir sur les conséquences terribles de cette catastrophe pour les populations en Ukraine et en Biélorussie mais aussi dans l’ensemble de l’hémisphère Nord touché par un nuage chargé de césium 137 et autres éléments radioactifs.

La catastrophe de Tchernobyl est classée au niveau 7 (le plus élevé) de l'échelle internationale des événements nucléaires (INES) ; elle surpasse, d'après l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l’accident nucléaire de Fukushima de 2011, par ses impacts environnementaux immédiats. Ses conséquences, controversées, sont importantes sur les plans sanitaire, écologique, économique et politique.

C’est sur le bilan des victimes que les controverses sont les plus fortes

L’OMS, en  2005, reconnaissait moins de 50 morts attribuées aux radiations (liquidateurs et victimes du cancer de la thyroïde compris). Elle estimait toutefois que ce chiffre pourrait s’élever, à terme, à 4 000 décès au sein des populations les plus exposées (soit 200 000 personnes dont les premiers travailleurEs intervenus sur le site), et le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (ou UNSCEAR) où la France est représentée par des membres du CEA et de l’IRSN, confirme le chiffrage d’une trentaine de morts parmi les employés en l’espace de quelques semaines.

Toutefois des associations et laboratoires indépendants comme la CRIIRAD en France et l’Académie des Sciences de New York remettent en cause les données officielles de la Russie soviétique et des institutions internationales. En décembre 2009, l’Académie des Sciences de New York a publié un ouvrage sur les conséquences sanitaires et environnementales de la catastrophe de Tchernobyl. Il s’agit de l’analyse et du recueil les plus complets et les plus à jour de données émanant de sources scientifiques indépendantes du monde entier. Les auteurs estiment que, entre 1986 et 2004, 985 000 décès à travers le monde sont attribuables aux retombées de Tchernobyl.

Cette bataille des chiffres de victimes n’est, on s’en doute, pas anodine. Reconnaître une pollution radioactive encore vivace après trente années et près d’un million de morts condamnerait définitivement le recours à l’utilisation de l’atome pour produire de l’électricité dans le monde. En niant effrontément les conséquences humaines et sanitaires de la catastrophe, les gouvernements et institutions internationales ont créé un autre nuage planant sur la connaissance des conséquences d’un accident nucléaire. À l’affirmation des uns s’opposent les affirmations des autres et plus personne ne s’y retrouve.

Les témoignages recueillis par la prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch dans son roman La supplication - Tchernobyl - Chronique du monde après l'apocalypse permettent, parce qu’ils renvoient à des individus et non plus des statistiques, de comprendre ce qu’ont subi, de 1986 à 1990, environ 600 000 « liquidateurs », des femmes et des hommes, des civils et des militaires venus d’Ukraine, de Russie et de Biélorussie, mais aussi de l’ensemble des républiques soviétiques.

« Il changeait : chaque jour, je rencontrais un être différent… Les brûlures remontaient à la surface… Dans la bouche, sur la langue, les joues… D'abord ce ne furent que de petits chancres, puis ils s'élargirent… La muqueuse se décollait par couche… En pellicules blanches… La couleur du visage… La couleur du corps… Bleu… Rouge… Gris-brun… Et tout cela m'appartient, et tout cela est tellement aimé ! On ne peut pas le raconter ! On ne peut pas l'écrire ! »« Tant que je restais avec lui, rien ne se passait. Mais dès que je m'absentais, on le photographiait… Il n'avait aucun vêtement. Il couchait nu, juste recouvert d'un drap léger que je changeais tous les jours. Le soir il était tout couvert de sang. Lorsque je le soulevais, des morceaux de peau restaient collés sur mes mains. Je lui dis : “Chéri, aide-moi ! Appuie-toi sur le bras, sur le coude autant que tu peux, pour que je puisse bien lisser ton lit, qu'il n'y ait ni couture ni pli.” Car même la plus petite couture lui faisait une plaie. Je me suis coupé les ongles jusqu'au sang pour ne pas l'accrocher.[...] Et l'on prenait des photos… Ils disaient que c'était pour la science. Mais je les aurais chassés tous. […] »

Partout oÙ il y a des centrales nucléaires dans le monde, nous ne pouvons plus dire « nous ne savions pas ». De Tchernobyl à Fukushima, le nucléaire tue horriblement et pendant de nombreuses années.