Au 20e siècle, la réforme agraire a été une revendication majeure des mouvements populaires à travers le monde, surtout dans les pays du « Sud ». Il serait erroné de croire que le problème est réglé. Dans diverses régions du monde, des luttes importantes se déroulent dans les campagnes : du Brésil (où le Mouvement des sans-terre continue de faire face aux grands propriétaires appuyés par des milices et, bien souvent, la police) à l’Inde (où 200 000 paysanEs ont, en cette fin du mois de novembre, marché sur la capitale pour protester contre une réforme des marchés agricoles).
Du début du 20e siècle aux années 1960 et 1970, des politiques agraires axées sur les petits producteurs et les agriculteurs familiaux, ainsi que les politiques de redistribution des terres, ont permis de réduire les inégalités dans les campagnes. Cependant, depuis les années 1980, les inégalités foncières sont à nouveau en augmentation. C’est ce que montre un très intéressant rapport récent1.
Globalement, 1 % des exploitations les plus importantes représentent plus de 70 % des terres agricoles et s’inscrivent dans le système alimentaire industriel. À l’inverse, 80 % des propriétés agricoles sont de petites exploitations de moins de deux hectares. Les 10 % les plus riches des populations rurales accaparent 60 % de la valeur des terres agricoles, tandis que les 50 % les plus pauvres n’en captent que 3 %.
Depuis 1980, la concentration des terres a augmenté de manière significative (Amérique du Nord, Europe, Asie et Pacifique) ou bien une tendance à la baisse s’est inversée (Afrique et Amérique latine). Cette évolution prend des formes différentes : dans les pays à revenu élevé, les grandes exploitations s’agrandissent tandis que dans les autres régions du monde des grandes propriétés coexistent avec des exploitations souvent de plus en plus petites. L’Amérique latine reste la région la plus inégalitaire.
Ce regain des inégalités foncières résulte en grande partie de modèles d’agriculture donnant la priorité aux exportations agricoles, ainsi que des investissements accrus des entreprises et du secteur financier dans l’alimentation et l’agriculture. Une partie des terres agricoles est désormais considérée comme des actifs financiers comme les autres, des dizaines de fonds d’investissement achètent des terres : en 2018, on dénombrait environ 1 000 transactions de terres agricoles à grande échelle couvrant 26,7 millions d’hectares.
Les inégalités foncières sont liées à toutes les autres inégalités dans les pays où la population agraire reste nombreuse. La concentration des terres entraine des migrations, internes aux pays et internationales. Les grandes exploitations consacrées à la monoculture pèsent sur la biodiversité et les ressources, en eau notamment. Le rapport insiste aussi sur l’impact écologique et social négatif de certaines actions supposées avoir un impact positif sur le changement climatique comme le développement des biocarburants.