Publié le Mercredi 1 avril 2020 à 11h42.

Crise économique et pandémie : où va-t-on ?

Quelle crise ? Quelle sortie ? Ce court article, dont l’auteur tient à préciser qu’il n’engage que lui, vise à esquisser des hypothèses soumises à la discussion.Ernest Mandel (économiste marxiste, dirigeant de la IVe Internationale), dont l’œuvre comporte plusieurs ouvrages sur les crises et cycles économiques, distinguait deux types de facteurs susceptibles d’affecter la marche de l’économie capitaliste. Les premiers résultent du fonctionnement même de cette économie : les évolutions du taux de profit, le cycle de l’investissement… Les seconds sont liés à des phénomènes qui, s’ils ne sont pas indépendants du capitalisme, ne sont pas directement liés à son fonctionnement régulier : c’est le cas des guerres. La guerre à l’époque impérialiste est bien sûr liée aux conflits entre puissances pour l’hégémonie et le partage du monde, mais elle possède une dimension supplémentaire de perturbation et de destruction. C’est surtout le cas des guerres mondiales qui, à deux reprises, ont dévasté le monde au cours du siècle passé.

Il est trop tôt pour déterminer l’ampleur et les conséquences de la crise actuelle, mais elle mélange de toute évidence les deux types de facteurs mis en avant par Mandel.

Crise économique et coronavirus

Depuis de longs mois existaient les signes annonciateurs d’une crise économique. Dans la sphère financière d’abord. Les marchés financiers d’actions avaient atteint des sommets stratosphériques sans rapport avec ce qui pouvait être attendu en termes d’évolution de la production et de profits. Un océan de dettes s’était développé et, une fois l’alerte de 2008-2009 passée, les banques avaient renoué avec beaucoup de leurs pratiques antérieures, confiantes dans le fait que les États voleraient à leur secours si la nécessité s’en faisait sentir. Tout ceci étant alimenté par les politiques des banques centrales des différents États qui, à chaque alerte, distribuaient en abondance des liquidités à bas coût au secteur financier. La situation était donc potentiellement instable et n’importe quelle étincelle aurait pu déclencher une crise d’ampleur plus ou moins grande, sans en être la cause (pas plus qu’en 1973 le choc pétrolier ne fut la cause de la crise) : la déconfiture d’un fonds d’investissement important aux pratiques aventureuses (à l’instar du fonds H20 lié à la banque française Natixis, toutefois pas suffisamment important pour provoquer à lui seul une panique) ou une guerre ouverte entre les États-Unis et l’Iran par exemple (voir l’interview d’Éric Toussaint en page 12 de ce même numéro).

Ce fut le coronavirus. Celui-ci présente des caractéristiques communes avec les guerres. Il est pour partie la conséquence d’un capitalisme productiviste et mondialisé en fonction de la logique du profit immédiat : une épidémie locale, comme il y en eut tant, a affecté en un temps record quasiment l’ensemble de la Terre. Il a, comme les guerres, une dimension qui ne ressort pas de la marche normale du capitalisme.

Deux scénarios de sortie

Quelle sera la suite ? Elle se situe entre deux scénarios extrêmes qui articuleront crise économique, crise sociale et crise sanitaire. Le premier, dominant dans les cercles gouvernementaux et patronaux, est celui du « mauvais moment à passer » avant le retour à la « normale ». Il y a aura des morts, beaucoup de chômage, des entreprises feront faillite mais ça redémarrera assez vite. Une version particulièrement caricaturale de ce scénario a été énoncée le 31 mars par le directeur général de Safran (moteurs et équipements aéronautiques) : « Quand on regarde les crises précédentes, en 2001 ou en 2008, par exemple, cela a pris plus ou moins de temps, mais la croissance est revenue en ligne avec les prévisions initiales. […] Après la crise, les choses devraient redevenir telles qu’elles étaient. ». Même si cette déclaration vise à rassurer les actionnaires et à se faire bien voir de l’État français (auquel sont demandées des aides supplémentaires), elle est significative des espérances de ce type de dirigeants.

Dans cette hypothèse, l’économie repartirait plus ou moins doucement sans transformations majeures, avec sans doute quelques redéploiements des chaînes de production (pour réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine) et un peu plus de capitalisme d’État. Des capacités de production excédentaires seraient éliminées, les entreprises survivantes se restructureraient et renouvelleraient leur équipement tandis que le chômage, qui a fait un bond, resterait à des niveaux élevés. Les dominants font le pari que les mécontentements accumulés ne seront pas suffisants au sortir de la vague épidémique pour les bousculer sérieusement.

L’autre hypothèse extrême est celle d’une pandémie par vagues qui perpétuerait l’embolie des circuits économiques, bloquerait un temps (un an ?) le redémarrage, et susciterait une accumulation de rage et de mécontentement dans la population. Dans ce cas, il serait difficile de repartir « comme avant » bien que des capacités de production excédentaires aient été éliminées. L’issue se jouerait sur le terrain de la lutte politique et des affrontements sociaux. Un historien a récemment évoqué à ce propos la fin de la Première Guerre mondiale avec les vagues révolutionnaires mais aussi le développement puis l’avènement du fascisme en Italie.

Au stade actuel, on peut (et il faut) se pencher sur les courbes du taux de profit, de la production, du commerce international mais le scénario du futur se situe probablement entre les deux hypothèses. Dans les deux cas, la lutte des classes sera un élément déterminant.