Tous les indicateurs confirment la profondeur de la crise économique. Celle-ci n’a comme précédent que celle de 1929. Mais elle présente des caractéristiques tout à fait particulières.Toutes les activités sont affectées par la crise. L’industrie en particulier voit son activité s’effondrer : d’après des captations satellites (fumées, températures, émission de gaz à effet de serre des principaux sites) qui permettent de suivre l’activité des industries lourdes (production d’acier, de ciment, d’électricité et de pétrole) des principales puissances mondiales (USA, Chine, Union européenne, Inde), leur production aurait plongé de 30 % entre janvier et mai. La Chine aurait certes rebondi mais, depuis début avril, le niveau de sa production stagnerait à 20 % au-dessous du niveau de janvier. Ces données sont approximatives et ne concernent pas l’ensemble de l’économie, ni même l’ensemble de l’industrie. Mais d’autres chiffres vont dans le même sens : Bosch, un des géants de l’équipement automobile, prévoit pour 2020 une baisse de la production automobile mondiale d’au moins 20 %.
Des prévisions incertaines
Le FMI voit, pour sa part, la croissance du PIB (celui-ci comprend l’ensemble des activités et pas seulement l’industrie) enregistrer un recul de 3 % pour l’ensemble du monde, de 5,9 % pour les États-Unis, de 7,1 % pour l’Union européenne et une hausse de seulement 1,2 % pour la Chine (ce qui est très faible pour ce pays). Les pays « en développement » seront aussi en difficulté : se conjugueront l’impact direct du coronavirus, la baisse des prix de certains produits de base (en particulier le pétrole) et le poids de la dette extérieure.
Ces prévisions chiffrées sont incertaines, et encore moins probable est la forte croissance annoncée pour 2021 : pour le FMI, l’économie mondiale pourrait croitre de 5,8 % en 2021 ! Les dirigeants du monde parient en effet sur une reprise ayant la forme d’un V : après la récession viendrait une reprise assez forte, impulsée par la fin du confinement et les divers cadeaux consentis aux banques et aux grandes entreprises.
Mais rien n’est moins sûr. La suite du scénario n’est pas écrite. Cette crise est tout à fait particulière. Si des nuages noirs s’étaient dès 2019 accumulés sur l’économie et la finance mondiale, l’élément essentiel de ces premiers mois est le coronavirus et les décisions auxquelles ont été contraints les différents États de mettre à l’arrêt une partie de l’économie. Décisions qui ont fait boule de neige bien au-delà de la volonté des gouvernements et du patronat. En effet, aucun État moderne (sauf dans les situations de guerre ouverte) ne peut voir éventuellement mourir une fraction importante de sa population sans faire au moins semblant de faire quelque chose.
Une crise particulière
Les capitalistes savent que les mesures d’endiguement de l’épidémie sont contradictoires avec la logique du profit. Ils font donc pression pour sortir du confinement et, au-delà, pour alléger au maximum les contraintes.
Les formes concrètes que prend la crise économique diffèrent de bien des manières d’une crise classique. Certaines sont même étonnantes, comme la remontée des marchés financiers au mois d’avril : depuis le creux de la fin mars, le niveau moyen du cours des actions américaines a progressé de 30 %. Les marchés financiers pensent d’une certaine façon que, contrairement aux populations, ils bénéficient d’une forme d’immunité collective grâce aux montagnes de liquidités déversées par les banques centrales : « Il ne faut jamais oublier que nous sommes dans un monde capitaliste, dont les principales institutions sont avant tout au service du système » note un banquier américain cité par le Monde. Certes, cela peut ne pas durer et les banques sont en train de prendre leurs précautions pour ne pas être fragilisées en cas d’une vague de non-remboursement de leurs crédits par les entreprises ou les ménages. Quoi qu’il en soit, sauf krach financier majeur, le futur dépendra essentiellement de la suite de la pandémie.
Une seule certitude : les dégâts sociaux
Ce qui n’est pas incertain, par contre, ce sont les dégâts sociaux de cette récession. Des millions d’emplois vont être supprimés partout dans le monde, le chômage va atteindre des sommets : il touche déjà de l’ordre d’un actif étatsunien sur cinq. Dans certains pays, comme la France, les dispositifs de chômage technique permettent de limiter les dégâts visibles mais ils ne seront pas éternels. Des entreprises (surtout petites et moyennes) vont disparaitre, les plus grandes vont se restructurer, fermer des capacités de production, licencier…
De mille manières (pertes d’emplois, réduction des avantages acquis voire des salaires), les salariéEs vont devoir payer la crise. Tandis que l’envolée des dettes publiques servira d’argument pour comprimer les avantages sociaux. Telles sont du moins les intentions des patrons et des gouvernements. Ni Trump, ni Macron, ni leurs congénères n’ont l’intention de revenir sur les avantages fiscaux consentis aux plus riches et aux entreprises. Tout au plus, si les mécontentements étaient importants, accepteraient-ils peut-être de mettre en place des prélèvements exceptionnels comme l’a suggéré en France Laurent Berger de la CFDT, qui n’a décidément besoin que de quelques miettes pour être satisfait.