Publié le Dimanche 12 juin 2011 à 21h31.

Surendettement : à qui profite le crime ?

L’endettement des États

L’endettement présuppose l’existence d’un capital de prêt. Celui-ci est la partie du capital financier donnant l’illusion de produire de l’argent à partir de l’argent (A-A’). Si le développement de la finance est un trait essentiel de la période ayant précédé la crise actuelle, cela ne signifie pas que l’investissement ait accéléré durant ces trois décennies. Un placement financier n’entraîne pas nécessairement la création d’une capacité de production. Lorsqu’on consulte les statistiques internationales, force est de constater que dans les pays industrialisés le taux d’investissement (la part de l’investissement dans le PIB) a légèrement diminué depuis la fin des années 1970 et que la formation brute de capital croît moins vite que durant les « Trente Glorieuses ». Alors à quoi sert la finance ? Les fonctions de la financeSi elle ne contribue pas à l’investissement, la finance est-elle une activité purement parasitaire ? Non, car elle a joué un rôle fonctionnel, c’est-à-dire qu’elle a servi à surmonter temporairement deux problèmes, deux contradictions des économies capitalistes. Il y a, d’une part, la nécessité de dégager des profits élevés en produisant à moindre coût. Et d’autre part, la nécessité de vendre cette production et donc de trouver des débouchés. Parce que la première condition n’était plus remplie, le système économique est entré en crise dès la fin des années 1960. Bien avant le « choc pétrolier », productivité et profits ralentissaient. Le développement de la finance a indirectement permis de rétablir le taux de profit. Certes, les services financiers ne sont pas eux-mêmes productifs. Mais la mobilité des capitaux permet d’accroître la pression actionnariale sur l’entreprise et d’exercer un chantage sur la main-d’œuvre. Si les délocalisations n’expliquent qu’une faible part des licenciements, elles pèsent sur les conditions de travail de l’ensemble du salariat. À partir des années 1980, le taux de profit augmente dans la plupart des pays grâce à une hausse du taux de plus-value. La chute du taux d’épargne américainLa seconde condition, trouver des débouchés, est régulièrement menacée par l’insuffisance de la demande solvable. En l’absence d’accélération de la productivité, le rétablissement du taux de profit a eu pour contrepartie l’austérité salariale. La finance a servi à stimuler artificiellement la demande de consommation. Dans les années 1990, la consommation américaine était encouragée par l’envolée des cours de Bourse. En effet, les actions figuraient dans le patrimoine d’une part croissante des ménages américains. Et le discours dominant prédisait la fin des crises économiques, une croissance continue et des profits astronomiques pour toutes les start-up de la « nouvelle économie ». Or, il suffit que chacun considère la valorisation de son capital fictif comme une richesse pouvant être liquidée à tout moment pour créer un « effet richesse ». Cet effet repose évidemment sur une illusion : la production ayant augmenté bien moins vite, tous ne peuvent convertir leurs chiffons de papier en pouvoir d’achat. Mais l’effet, lui, est bien réel : la part de la consommation dans le PIB a augmenté. La contrepartie est toutefois un effondrement du taux d’épargne, c’est-à-dire du rapport entre l’épargne et le revenu net. L’endettement immobilierAprès le krach de la « nouvelle économie », marquant en 2000-2001 la fin de cette première étape, la bulle s’est déplacée vers l’immobilier. Ce transfert a été rendu possible par des institutions économiques permettant de gager les emprunts immobiliers sur la valeur de la maison. En cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur peut se faire payer sur la vente du bien. Ce transfert a aussi été encouragé par la baisse drastique des taux d’intérêt. Entre 2000 et 2006, l’encours des crédits immobiliers a doublé. Et la répartition de ces prêts a également évolué puisque le montant des prêts subprimes (accordés aux ménages aux revenus modestes et précaires) a été, lui, multiplié par sept. C’est à cette époque que le taux d’endettement des ménages passe d’à peine 100 % à presque 140 % de leur revenu disponible brut. Avec la chute des prix immobiliers, les conséquences sont catastrophiques. De nombreux logements valent beaucoup moins que la dette contractée pour l’achat. En droit américain, les ménages peuvent toutefois se déclarer en faillite. Ils perdent alors leur logement mais les pertes supplémentaires (la différence entre le montant de l’emprunt et le prix de vente de la maison) sont assumées par le créancier. Les deux conséquences sont la baisse de la part des ménages propriétaires – qui est retombée à son niveau de 1998 (66,4 %) – et une crise immobilière qui se poursuit encore, cinq années après son déclenchement. Le cas de l’EuropeOn a observé un phénomène similaire dans plusieurs pays d’Europe, ce qui explique qu’ils aient été particulièrement touchés par la crise. Au Royaume-Uni, le taux d’endettement des ménages passe de 117 % du revenu disponible fin 2000 à 185 % fin 2007. En Espagne, fin 2009, l’endettement global représentait la bagatelle de 5 300 milliards d’euros, dont seulement 13 % au titre de la dette publique. Le reste provient des achats de logements et de biens d’équipement par les ménages et les entreprises. Des logements vides s’étendent à perte de vue en attendant d’improbables rachats par des retraités allemands... Comme il y a peu de transactions et que les prix n’ont pas encore plongé, les dirigeants guettent avec inquiétude l’effet d’un krach immobilier sur les caisses d’épargnes régionales. L’endettement privé a été encouragé par la dynamique interne de la zone euro. En Espagne, au Portugal ou en Grèce, il a servi à couvrir le déficit extérieur. Les dirigeants allemands, autrichiens, néerlandais et finlandais ont opté pour une stratégie mercantiliste visant à l’obtention de gains de compétitivité et de forts excédents courants par l’imposition d’une austérité salariale. Dans ces pays, la part des salaires dans le PIB a diminué plus vite qu’ailleurs. Cela a favorisé les exportations, dont la contrepartie a été de forts déficits extérieurs dans les pays du sud de l’Europe. Le projet de SarkozySi la France est un peu moins touchée par la crise et l’endettement privé, ce n’est certainement pas grâce à ses dirigeants.Nicolas Sarkozy n’a pas eu le temps d’aligner l’économie française sur le modèle américain. C’était pourtant son souhait. Le 17 mars 2005, alors président, il déclare : « Ce n’est quand même pas excessivement audacieux de proposer que les crédits immobiliers soient simplement et uniquement garantis sur la valeur des biens achetés »1. Simplement et uniquement ! Cela devient un thème récurrent du candidat Sarkozy. Le 14 septembre 2006, lors de la « convention pour la France d’après », il explique que le crédit propriétaire est « en réalité très simple » : c’est ce qui permet aux Américains d’être propriétaires de leur logement tandis que l’exclusion du marché du crédit de ceux dont la situation professionnelle n’est pas assez stable « est une injustice ». Et dans un élan de démagogie, il entretient la confusion avec une autre question : « Je souhaite la rupture avec cette tradition qui fait que pour obtenir un prêt on doit avoir des relations ». Pour cela il suffit de « changer les règles prudentielles imposées aux banques, de simplifier le recours à l’hypothèque […] c’est simple, vous garantissez votre emprunt avec le bien que vous acquérez ». En février 2007, Sarkozy propose clairement « que ceux qui ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de leur logement ». Il enfonce le clou dans la revue Vie immobilière : « Si le recours à l’hypothèque était plus facile, les banques se focaliseraient moins sur la capacité personnelle de remboursement de l’emprunteur et plus sur la valeur du bien hypothéqué. Ceci profiterait directement à tous ceux dont les revenus fluctuent. » Cet endettement est le fruit d’un système développant les inégalités tout en stimulant la vente des marchandises par des artifices bancaires et publicitaires. Protéger la population par des règles limitant le taux d’intérêt, ou restreignant la pratique du « credit revolving », est un progrès insuffisant. Le problème du surendettement subsistera tant que perdurera un système économique profondément inégalitaire et indifférent aux besoins de la population.

Philippe Légé1.  Convention sociale (sic) de l’UMP, 17 mars 2005.

Les dettes bancaires au premier plan

La Banque de France a publié au mois d’avril une enquête sur la typologie du surendettement. Celle-ci nous renseigne sur les caractéristiques des personnes les plus touchées ainsi que sur les dettes en cause. Ainsi, entre le 1er janvier et le 31 octobre 2010, 176 731 dossiers concernant 223 908 personnes ont été déclarés recevables par la commission de surendettement. Dans 65 % des cas, il s’agit de personnes vivant seules. Si les tranches d’âge les plus concernées sont les 35-44 ans et les 45-54 ans, on observe une augmentation importante des personnes ayant plus de 55 ans qui représentent aujourd’hui 23 % des surendettés contre 13 % en 2001. Quant aux personnes de plus de 65 ans, leur proportion a doublé (8 % en 2010 contre 4 % en 2001). 80 % des dossiers concernent des locataires et 11 % des personnes hébergées à titre gratuit. 26 % sont au chômage, 13 % n’ont pas de profession et 11 % sont sans activité (invalidité, congé maladie de longue durée ou congé parental...). 34 % sont employés et 24 % ouvriers.

54 % des surendettés disposent de ressources inférieures au Smic et 83 % inférieures ou égales à 2 000 euros.Le niveau d’endettement moyen est de 34 500 euros ce qui correspond à dix dettes par dossier en moyenne. 83 % des dettes sont bancaires, 9 % des arriérés de charges courantes et 8 % des arriérés de dettes diverses. Le recours abusif au crédit est la cause exclusive du surendettement dans 13 % des cas.

Les baisses de revenus, la perte du travail et le changement de la situation personnelle du fait d’un décès, un divorce ou une séparation constituent la majorité des causes de surendettement. Du coup, les personnes ne peuvent plus faire face à leurs charges courantes. Ainsi, celles-ci sont présentent dans 76 % des dossiers et s’élèvent en moyenne à 4 130 euros. Cela recouvre les dettes de logement, d’énergie, de transport, de communication, d’assurance et de mutuelle, de santé, d’éducation... Mais c’est bien le logement, avec un montant moyen de 3 200 euros, qui arrive en tête des causes de surendettement.

Ainsi, malgré les rodomontades du gouvernement vantant sa gestion de la crise, le rapport de la Banque de France montre à quel point celle-ci a plongé la population dans des problèmes inextricables. On nous a vanté le soutien indispensable aux banques qui ont reçu des milliards d’euros, pendant que la population continuait de s’endetter pour faire face à des besoins élémentaires comme le logement ou la santé. Les non-remboursements des médicaments, l’augmentation des différents forfaits... sont à l’origine de nombreuses dettes également. Évidemment, les plus fragiles sont les premiers atteints et cette enquête démontre que ce ne sont pas les dépenses somptuaires qui causent le surendettement, mais simplement la nécessité de survivre.

Dominique Angelini

Mort à crédit

À l’origine, le crédit à la consommation est censé répondre à un besoin ponctuel. Il s’agit d’acheter un bien précis, dont le coût devait être inférieur à 21 500 euros et la durée de remboursement à 90 jours pour rentrer dans les conditions du code de la consommation. Les organismes bancaires ont donc inventé le crédit permanent ou renouvelable ou encore revolving. Il permet d’emprunter une somme sans qu’il soit besoin de l’affecter à un achat précis. Il est en général proposé pour des sommes relativement faibles avec des montants de remboursement le plus souvent supportables pour les petits budgets voire indolores (de l’ordre de 30 euros par mois). Ce type de crédit est appelé renouvelable, parce que dès qu’un remboursement a eu lieu, il est possible de réemprunter à hauteur du plafond initialement décidé. De plus, ce type de crédit ne bénéficiait pas de la protection des crédits à la consommation telle que prévu dans le code de la consommation. Ainsi, il était possible pour une banque de n’imputer sur les remboursement que les seuls intérêts et pas le capital. Autant dire que l’on se trouvait endetté à vie. Car, si le recours à un crédit renouvelable peut être judicieux lorsqu’on s’en sert comme une sorte de crédit relais, dans l’attente d’une somme que l’on est sûr de percevoir, il se trouve que la plupart du temps, les emprunteurs en demandent pour boucler les fins de mois. Il suffit alors d’un événement imprévu : perte de son emploi, séparation, dépenses de santé, pour que le remboursement ne puisse être effectué.

C’est ce qui arrive à de plus en plus de personnes aujourd’hui et l’enquête de la Banque de France indique que le crédit permanent est cité dans 82 % des dossiers de surendettement en 2010.Dans de nombreux cas, la réaction de la banque est d’augmenter le plafond du crédit renouvelable. Alors que la personne voit ses revenus diminuer, parfois de façon importante, on lui propose de s’endetter encore plus. Tout le monde y trouve son intérêt : la banque qui n’a pas à rejeter un prélèvement ni à déclarer un incident de paiement et le client qui a l’impression d’avoir une bouffée d’air. Mais pour ce dernier, il s’agit évidemment d’un avantage à très court terme. Car soit la banque n’augmente pas le montant de l’échéance, mais dans ce cas la durée de l’endettement explose, soit elle l’augmente et très vite, le client ne peut plus payer.

D’autant plus que les taux d’intérêt des crédits renouvelables sont vertigineux. En effet, l’État détermine un taux dit d’usure que les banques ne peuvent dépasser. Mais celui-ci varie en fonction du type de crédit et, alors qu’il était de 7,77 % pour un crédit à la consommation supérieur à 1 524 euros, il était de 19,67 % pour un crédit renouvelable du même montant. De plus, certains organismes bancaires ont la mauvaise habitude de faire signer une ouverture de crédit renouvelable en même temps que l’ouverture d’un compte, en le présentant comme une facilité de caisse et sans en expliquer le fonctionnement. Depuis le 1er avril dernier, les dispositions de la loi Lagarde concernant les crédits renouvelables sont entrées en vigueur. Elles obligent les banques à davantage de transparence. Dorénavant, elles devront indiquer à chaque échéance le montant restant dû. Par ailleurs, toute échéance devra comporter le remboursement d’une partie du capital.

En outre, la loi prévoit un rapprochement du taux d’usure entre les différents types de crédit. Mais les lobbies bancaires ont su être efficaces et ces mesures sont sans arrêt reportées. La loi devait rentrer en vigueur au 1er juillet 2010 mais les décrets d’application n’ont été pris qu’en avril 2011. En outre, pour ce qui est des taux d’usure, les banques ont obtenu un délai de... huit trimestres ! Et ce n’est qu’au 1er avril 2013 que ces taux devront vraiment converger. Pour l’heure, pour un crédit à la consommation d’un montant supérieur à 1 524 euros, le taux d’usure est fixé à 8,03 % alors que pour un renouvelable, il est encore à 19,53 %. Les associations de consommateurs qui en général approuvent les mesures de la loi Lagarde regrettent évidemment ce délai supplémentaire et mettent en garde contre les détournements de la loi qui pourraient être opérés par les banques.

Mais quelles que soient les protections mises en œuvre, le crédit renouvelable est un outil qui peut vite tourner au poison, et ce d’autant plus que les salaires, pensions de retraite, allocations diverses et variées baissent alors que les charges de logements, de nourriture, d’énergie, de transport... augmentent, comme c’est le cas actuellement. Dans cette configuration, les seuls gagnants sont les banques, jusqu’au jour où ce que certains1 appellent déjà la « bulle du crédit renouvelable » éclatera, plongeant les économies dans une nouvelle crise.

Dominique Angelini 1. Voir sur le sujet les analyses de Denis Cotte sur le site www.moncreditpropre.com