Publié le Lundi 2 octobre 2023 à 09h58.

État des lieux de la répression dans l’Éducation nationale

L’Éducation nationale s’est retrouvée au cœur des débats de cet été et sa crise n’en finit pas, causée par les politiques austéritaires que subissent les professeurs et les élèves. Ceux et celles qui résistent face au rouleau-compresseur néolibéral et à la casse du service public font face à une répression féroce qui s’est généralisée sous Blanquer et qui s’est poursuivie avec Pap Ndiaye.

 

On ne compte plus les militantEs syndicaux ou pédagogiques qui ont subi des sanctions, des pressions, des mutations forcées sans motif précis et au mépris des libertés et des droits syndicaux. Il y a une véritable volonté de mettre au pas toute une profession en commençant par les militantEs combatifs. Blanquer a initié une véritable chasse aux sorcières contre les militantEs politiques pédagogiques ou syndicaux.

L’administration ne supporte aucune remise en cause de sa politique et réprime ou criminalise celleux qui lui tiennent tête. On demande aux profs d’être dociles, obéissants, de ne pas s’exprimer sur leurs conditions de travail, de ne pas révéler les dysfonctionnements de l’Éducation nationale sous peine de manquer au devoir de réserve, d’être considérés comme déloyaux ou bien d’être accusés ne pas respecter les valeurs de la république. Les élèves subissent également la répression lorsqu’iels se mobilisent.

La mobilisation contre le Bac Blanquer : un tournant répressif

L’année 2019 a été marquée par la mise en place à la fois de la réforme du bac, de celle du lycée et de la Loi sur l’École de la confiance. Le tout sans concertation, dans la précipitation et à marche forcée. Les enseignantEs se sont mobiliséEs contre cette réforme injuste et contre les conditions de sa mise en place. La répression a été extrêmement brutale : intimidations, menaces de sanctions disciplinaires contre les enseignantEs qui exerçaient leur droit de grève et étaient protégéEs par un préavis syndical.

Les épreuves notamment des E3C (épreuves communes de contrôle continu) ont souvent eu lieu dans des conditions indignes... La répression a franchi un cap inédit avec des atteintes répétées au droit de grève contre les professeurEs mobiliséEs.

Le cas le plus emblématique de la répression dans cette mobilisation est l’affaire des « 4 de Melle », quatre enseignants d’un lycée rural des Deux-Sèvres.

À la suite de la mobilisation, quatre enseignantEs sont suspenduEs pendant plusieurs mois puis convoqués à conseil disciplinaire où ils écopent de lourdes sanctions. Les motifs de leur suspension sont flous, tels que le « manquement au devoir de réserve » ou « manipulation des élèves » mais aucun fait précis ne leur est reproché. L’enquête et la procédure ont été émaillées d’irrégularités et iels n’ont pu réellement se défendre malgré une large mobilisation de soutien.

Ces quatre enseignantEs ont été choisis pour faire un exemple, pour envoyer un message à celleux qui se sont mobiliséEs, pour montrer que l’administration n’hésitera pas à réprimer les leaders d’un mouvement, des militantEs syndicaux. « Selon l’intersyndicale, d’autres cas de menaces disciplinaires se sont produits sur l’ensemble du territoire […] Des sanctions qui ne disent pas leur nom, toutes prises à la suite du mouvement de contestation contre les E3C. »1

Répression antisyndicale et « mutations dans l’intérêt du service »

L’administration dispose de tout un arsenal juridique pour réprimer les travailleurs/ses de l’Éducation nationale. L’article 1 de l’École de la confiance instaure un « devoir d’exemplarité » des enseignants envers l’institution. La Loi de transformation de la fonction publique de 2018, permet les fameuses « mutations dans l’intérêt du service » et facilite la répression syndicale car elle supprime l’obligation de présenter la mesure devant les commissions paritaires. L’administration dispose des pleins pouvoirs, sans avoir à justifier ses décisions. Le prétexte est toujours de « ramener la sérénité » dans un établissement et les personnels visés sont presque toujours des syndicalistes ou des militantEs des pédagogies alternatives.

Cette procédure a été utilisée au collège République de Bobigny où deux enseignantEs ont subi une mutation forcée et deux autres ont reçu un blâme. Le collège se mobilisait très régulièrement contre le manque de moyens, de personnels et pour de meilleures conditions de travail. Les enseignantEs répriméEs, touTEs syndiquéEs, ont dû faire face à une campagne de diabolisation les dépeignant comme une véritable mafia syndicale instaurant un climat de terreur dans leur établissement. Leurs entretiens avec l’administration ont porté sur leurs rapports à la hiérarchie et leur appartenance syndicale à Sud Éducation.

La directrice de communication du rectorat, contactée par Libération, rejette tout lien avec l'engagement syndical des enseignants. « On n'engage pas des poursuites de gaîté de cœur. Évidemment qu'il n'y a aucun rapport avec leur engagement. Comment imaginer cela ? Au rectorat de Créteil, nous savons que nous vivons dans une démocratie. »2 On ne peut qu’apprécier l’ironie des propos.

Kai Terada, enseignant dans un lycée de Nanterre et co-secrétaire de Sud Éducation 92, a été suspendu sans motif, puis notifié de sa mutation dans l’intérêt du service, malgré un soutien très important. Le prétexte étant de ramener la « sérénité » dans son établissement, sans qu’il ait commis la moindre faute professionnelle. Or Kai Terada est une figure militante locale et dans son établissement. Le collectif « Sois Prof et Tais-toi » a été constitué suite à cette affaire pour rassembler les réprimés de l’Éducation nationale.

La chasse aux sorcières wokes

Blanquer a mis en place une véritable chasse aux sorcières contre les militantEs syndicaux ou politiques, diabolisant les uns et les autres en faisant des procès en « islamo-gauchistes » ou en dénonçant l’idéologie « woke ». Il reprend ici des thèmes chers à l’extrême droite, sur le terrain de laquelle l’Éducation nationale n’en finit plus de s’aventurer.

C’est ainsi qu’est justifiée la répression de deux équipes pédagogiques de professeurs des écoles du 93.

À l’école Pasteur à Bobigny six professeurEs ont fait l’objet de mutations forcées en 2022. Tous et toutes sont des militants syndicaux très investiEs. Une directrice proche de l’extrême droite a été nommée dans leur école et des tensions sont vite apparues entre elle et le reste de l’équipe pédagogique, notamment suite à la parution dans un journal d’extrême droite, l’Incorrect, d’un article sur le gauchisme à l’école, où la directrice en question prenait son école en exemple en y dénonçant le climat syndical, jetant au passage son équipe en pâture à la fachosphère. L’administration a diligenté une enquête à charge dans laquelle elle reprend les éléments de langage diffamatoire du journal d’extrême droite : « Le système [...] en autogestion [...] qui s’est installé a conduit peu à peu l’école Pasteur à ne plus être une école de la République ».3 plutôt que de soutenir une équipe soudée et investie dans la réussite des élèves. Mais on l’aura compris, l’administration a davantage à cœur de détruire des équipes militantes que l’intérêt des élèves.

On peut également citer le cas d’Hélène Careil, professeure des écoles à Bobigny, militante syndicale et pédagogique. Après des pressions hiérarchiques pour remettre en cause le projet d’école inspiré de la pédagogie Freinet en place depuis de nombreuses années dans son école, Hélène a reçu un avis de « mutation dans l’intérêt du service ». Le Tribunal administratif a toutefois fait annuler cette décision, c’est une première victoire de la campagne de soutien apportée à l’enseignante et on ne peut qu’espérer qu’elle fasse jurisprudence.

C’est dans ce climat qu’a pu être envisagée en 2019 la dissolution d’une section locale d’un syndicat combatif, Sud Éducation 93. Deux plaintes ont été déposées par Blanquer pour diffamation contre le terme « racisme d’état » et une accusation de « discrimination ». Une autre plainte a été déposée par des parlementaires LR suite à l’organisation d’ateliers en non-mixité raciale lors d’un stage, elles ont toutes débouché sur des non-lieux. Ces attaques contre une organisation syndicale sont graves et elles visent aussi celleux qui se mobilisent sur les questions antiracistes.

Criminalisation de la contestation

Le gouvernement tente de faire taire toute remise en cause de sa politique par la répression, même lorsqu’il s’agit d’un pied-de-nez.

Pendant sa campagne législative dans le Loiret, Blanquer a été entartré par deux professeurs qui souhaitaient dénoncer la casse du service publique d’éducation. Blanquer a porté plainte et ils sont poursuivis pour « violences en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail » – heureusement que le ridicule ne tue pas. Les deux professeurs ont fait 8 heures de GAV et ont été interrogés par la police. Les médias et la justice ont insisté sur la violence subie par le ministre. Cela participe d’un processus de criminalisation totalement disproportionné.

En 2022, un enseignant de Pantin a été poursuivi en diffamation par l’inspecteur académique pour avoir lu en conseil d’administration un poème satirique, écrit collectivement avec ses collègues, qui dénonçait le caractère discriminant et réactionnaire d’une formation obligatoire sur la laïcité. La plainte a abouti à un non-lieu. Mais l’enseignant a tout de même été convoqué par le rectorat dans le cadre d’une procédure disciplinaire pour « comportement professionnel inadapté notamment en donnant lecture lors du conseil d'administration et malgré l'opposition du chef d'établissement d'une fable qui faisait un descriptif animalier et déplacé de deux personnels de l'Éducation nationale » (!)4.

Il s’agit d’une vague de répression inédite dans l’Éducation nationale, derrières ces « affaires », il y a des vies qui sont bouleversées avec des conséquences concrètes pour les enseignantEs répriméEs. Par ailleurs, les contractuelLEs ou les AED sont totalement à la merci de la hiérarchie qui peut décider ne pas renouveler leur CDD à tout moment, ce qui les rend particulièrement vulnérables.

La jeunesse : parfois en garde à vue mais jamais au garde-à-vous

La politique répressive qui touche les profs n’épargne pas les élèves, bien au contraire, ce sont les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre. Le gouvernement rêve d’une jeunesse « qui se tient sage », on garde d’ailleurs en tête les images des lycéens de Mantes-la-Jolie à genoux suite à une manifestation.

Il est maintenant de moins en moins rare de voir des policiers évacuer un campus ou un amphi occupé par des étudiantEs. L’administration n’a plus de tabou lorsqu’il s’agit de faire appel à la police pour débloquer un lycée. La répression policière et l’acharnement judiciaire montre à quel point le pouvoir a peur de la jeunesse.

Pendant la mobilisation contre les E3C, les lycéens mobiliséEs ont lourdement subi la répression et été obligéEs à passer leurs épreuves dans des conditions indignes. Le communiqué de la LDH, intitulé « Sortir de la répression d’une jeunesse inquiète », note à propos de ce mouvement : « Des lycéennes et lycéens, dont beaucoup de mineurs, sont ici mis en garde à vue au commissariat durant trente heures, là prennent des coups de matraque et des gaz lacrymogènes, ailleurs entrent en examen entre deux rangs de policiers, ailleurs encore, des lycéens qualifiés de « meneurs » ne sont pas autorisés à se rendre à l’épreuve de rattrapage… »5

La répression policière est aussi forte pendant le mouvement contre la réforme des retraites : la police est envoyée débloquer des lycées et sa présence même tend la situation, il n’est pas rare de voir des lycéenNEs gazéEs, matraquéEs, plaquéEs au sol, chargéEs. Les arrestations ne sont pas rares, ainsi que les gardes-à-vue de mineurEs dont les droits ne sont pas toujours respectés. Le but premier de cet acharnement judiciaire est de faire peur et de marquer les esprits des jeunes qui hésiteront peut-être à retourner dans la rue. Il y a une véritable criminalisation de la contestation de la jeunesse.

Pour finir de mettre la jeunesse au pas, quoi de mieux que l’embrigadement ? Le gouvernement souhaite généraliser le SNU (Service National Universel) son programme d’inspiration militaire, sous couvert de promouvoir l’engagement citoyen des jeunes, avec levers de drapeaux, hymnes, exercices militaires, le tout encadré par l’armée. Le SNU a de fait une coloration idéologique forte, militariste et autoritaire, pour discipliner les lycéenNEs et en faire des citoyenNEs dociles.

S'unir contre les répressions

La répression dans l’Éducation est à remettre dans le contexte global de la répression du mouvement social en général. Que ce soit la répression policière des manifestations, depuis la Loi Travail, le mouvement des GJ en passant par la répression individuelle des militantEs syndicaux combatifs. La répression extrêmement violente du mouvement écologiste notamment à Sainte-Soline, qui s’inscrit dans la criminalisation du mouvement social en général avec la dénonciation des « éco-terroristes ». Le message envoyé par le pouvoir est clair, il se montrera sans pitié envers celleux qui contestent sa politique et il s’appuiera sur la répression policière et judiciaire, quitte à écraser les libertés syndicales, politiques et l’état de droit. La volonté étant de faire peur, d’intimider mais aussi de faire passer les contre-réforme dans l’éducation comme ailleurs, de briser les résistances.

Face à cela, nous n’avons rien à attendre de l’État, nous devons nous organiser par nous-mêmes pour nous défendre, faire le lien entre la répression de tous les personnels de l’éducation nationale mais aussi celle des élèves, chercher les convergences et la solidarité avec l’ensemble du mouvement social, renforcer les cadres collectifs, notamment syndicaux, proposer des campagnes contre la répression dans l’unité la plus large possible de notre camp social et établir un rapport de force qui les fasse reculer.