Entretien. Salarié à Air France, M. est membre du bureau national de Sud Aérien.
Où en sont les salariés d’Air France mis en examen et ceux frappés de sanctions disciplinaires par la direction ?
Cinq salariés, quatre du Cargo et un de la direction industrielle doivent passer en correctionnelle au tribunal de Bobigny le 2 décembre. Ils sont poursuivis pour « violences en réunion ayant entraîné un ITT de moins de 8 jours », et risquent 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende. Cette mise en examen s’est faite sur la base de vidéos où l’on voit des dizaines de salariéEs entourer les deux cadres d’Air France qui veulent passer en force pour ne pas débattre avec eux. Seule chose intéressante, la direction avait essayé de faire de la mousse sur un vigile frappé et tombé dans le coma… Un prétendu coma qui n’entraîne pas d’arrêt de plus de sept jours !
Et parallèlement, la direction a prononcé des licenciements contre ces cinq salariés, cela sans attendre les décisions judiciaires, sans même pouvoir établir la moindre preuve à partir des vidéos prises ce jour-là. Clairement, des dizaines d’autres salariéEs auraient pu être les victimes de cet arbitraire patronal. Ce sont des licenciés pour l’exemple. Le salarié concerné de la direction générale industrielle a un mandat syndical et la direction a convoqué un Comité d’établissement extraordinaire pour faire voter la demande de licenciement.
Par ailleurs, 11 autres salariés ont reçu une mise à pied de 15 jours, essentiellement pour avoir poussé les grilles d’accès au siège, et deux pilotes sont encore en procédure de sanction. On leur reproche d’avoir laissé entrer des salariés Air France au sein des locaux d’Air France !
Ce qui est clair, c’est que la direction veut laver l’affront, la gifle médiatique qu’ils se sont prise à la figure le 5 octobre. Dans les vidéos diffusées dans le monde entier, les dirigeants d’Air France ont montré l’image d’une direction apeurée, incapable d’assumer ses choix patronaux, et les salariéEs sont apparus avec la colère et la force d’une mobilisation intercatégorielle.
Il faut noter que nous avons eu beaucoup d’échos prouvant que Manuel Valls et le gouvernement pressaient la direction d’Air France de prendre rapidement des sanctions.
Quelles sont les réactions des salariéEs et de l’intersyndicale à ces sanctions ?
Immédiatement, l’intersyndicale s’est totalement rangée en défense des salariés concernés. Un communiqué de l’intersyndicale qui, rappelons-le, rassemble tous les syndicats d’Air France sauf la CFDT et la CGC personnel au sol, a dénoncé les procédures de sanctions et les mises en examen, exige la levée et l’abandon de toutes ces procédures, et dit clairement que la reprise de tout dialogue avec la direction étaient soumise à cette condition. Un long texte de l’intersyndicale dénonce par ailleurs le montage de ces mises en examen et de ces procédures pour l’exemple. Cela est très important : en ne frappant que des salariés du Fret et un de l’industriel, tous syndiqués CGT, la direction espérait sûrement dissocier le front intersyndical et intercatégoriel. Là encore, elle en a été pour ses frais.
Quels sont les effets des attentats du 13 novembre sur les échéances de mobilisation ?
L’intersyndicale avait prévu une manifestation devant le Comité central d’entreprise, avec des appels à la grève, pour le 19 novembre. Les attentats et l’interdiction de manifester ont amené l’intersyndicale à suspendre ses appels. Dans un communiqué du 16 novembre, l’intersyndicale a donc annoncé cette suspension au nom du deuil nécessaire, et demande à la direction – dans un esprit d’apaisement dans ces circonstances – de revenir sur les licenciements de nos collègues. À cette heure, nous attendons la réponse… Dans tous les cas, les mobilisations sont toujours programmées pour fin novembre ou début décembre, et des appels à la grève circulent à la direction industrielle et au cargo, venant de SUD Aérien, de la CGT et de FO, centrés notamment sur le jour de réunion du CE de l’industriel, où la direction veut faire voter le licenciement de notre collègue.
Évidemment, les événements de vendredi dernier ont porté un coup de frein au processus de mobilisation, surtout dans un secteur où les salariéEs se sentent soumis davantage à des risques d’attentats. Mais ils ne sont pas dupes et savent bien que derrière « l’unité nationale », la trêve sociale et un discours de façade, l’austérité continue... et le plan Perform également. Pour SUD Aérien aussi, il était difficile de maintenir l’échéance du 19 novembre, mais nous mettons toutes nos forces pour construire une forte mobilisation intersyndicale et de tous les secteurs dans les deux semaines à venir.
Les bons résultats du trimestre du groupe confirment vos analyses. Est-ce que celles-ci font leur chemin parmi les salariéEs ?
Bien sûr, tous les discours sur la compagnie qui va mourir sentent le réchauffé ou le goût du vieux chewing-gum trop mâché. Les bons chiffres du trimestre, tout ce que prévoient les analystes pour l’exercice 2015 et 2016, confirment ce que nous disons. Air France KLM récolte des profits... mais veut encore accroître sa marge.
D’ailleurs, le contexte des derniers jours est éloquent. Dans Transavia, la filiale bas-coût du groupe, la direction vient d’essayer d’imposer la suppression d’une augmentation salariale de 2 %, une baisse des coûts de 7,5 %, alors que les hôtesses et stewards sont embauchés à 1 512 euros brut, au niveau du SMIC. Cela montre bien que le « coût » rêvé du travail pour nos dirigeants est même inférieur à celui de Easy Jet... Heureusement la mobilisation des salariés de Transavia a bloqué cette nouvelle attaque.
D’un autre côté, du 6 au 13 novembre, les hôtesses et stewards de Lufthansa ont fait massivement grève, clouant les avions au sol et amenant à la suppression de milliers de vols. Là aussi, c’est une leçon de choses : Lufthansa est la compagnie européenne qui réalise le plus de profits, le « modèle à atteindre » pour la direction d’Air France. Mais même dans une entreprise qui va réaliser deux fois de plus de profits qu’Air France, les dirigeants et les actionnaires n’en ont pas assez. Ils veulent revenir sur les plans de financement des retraites d’entreprises et faire glisser un maximum de vols vers la filiale bas-coût Eurowings…Comme quoi, la recherche de gains de profitabilité sur le dos des salariéEs est un but sans fin pour les dirigeants des grands groupes du transport aérien, dans un secteur en pleine croissance. Ces deux exemples nous donnent des raisons supplémentaires de nous battre.
Propos recueillis par Laurent Carasso