C’est dans une ambiance plombée, d’une part, par les nouvelles difficultés rencontrées dans la construction de l’EPR de Flamanville, avec l’exigence de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) d’effectuer des travaux qui ne pourraient être mis en oeuvre avant fin 2022 et, d’autre part, par l’annonce de l’augmentation de 5,9% des tarifs de l’électricité au 1er juin (report de la date du 1er janvier motivé par la mobilisation des Gilets jaunes), que le PdG du groupe EDF a présenté le projet Hercule de réorganisation du groupe.
Depuis sa transformation en société anonyme en 2004, Électricité de France (EDF) n’est plus une entreprise publique, même si l’État en possède 83,7% du capital social. Une transformation, une privatisation, largement cautionnées par les organisations syndicales, dont la direction de la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT, au travers de l’acceptation de la modification du régime de retraite des agents d’EDF-GDF, point d’entrée de la privatisation1.
Un projet ballon d’essai
Le nouveau projet consiste en une scission d’EDF en deux entités. D’un côté, EDF « bleu », société 100% publique qui regrouperait les activités liées au nucléaire ou la gestion du réseau. De l’autre, EDF « vert », ouverte aux capitaux privés et chargée de la vente d’électricité et des énergies renouvelables. Un projet qui vise donc à nationaliser les activités nucléaires et à privatiser des filiales du groupe, notamment dans les énergies renouvelables. Autrement dit, et de façon quasiment caricaturale, nationaliser les pertes et les problèmes, et privatiser les secteurs rentables.
Les enjeux sont multiples et complexes. Le maintien de l’ensemble de la production dans le giron de l’État risque fort de se heurter aux directives européennes, et la privatisation de la distribution susciter une opposition massive et, pourquoi pas, radicale, de l’ensemble des organisations syndicales, dans un contexte où après la caricature offerte par la privatisation des autoroutes, celle d’ADP provoque une riposte significative. L’ajout des barrages hydro-électriques (plus de la moitié de l’électricité d’origine renouvelable et 10% de l’électricité produite au total) dans le paquet privatisable pouvant alimenter bien des mobilisations.
Des attaques vraiment programmées
De son côté, la Cour des comptes a récemment estimé que, malgré une baisse des effectifs, le groupe ne maîtrise pas sa masse salariale. La rémunération mensuelle brute moyenne y serait de 4908 euros, allant de 2335 euros pour les « exécutants » à 3693 euros pour les agents de « maîtrise », et jusqu’à 6717 euros pour les cadres. Les salaires seraient chez EDF 8% au-dessus de ceux de la concurrence pour les non-cadres, et même de 10% pour les cadres. Dans le collimateur, le statut du personnel datant de 1946 et un accord de branche supposément trop généreux pour les cadres au forfait-jour, fixant une rémunération individuelle « insuffisante »et des avantages « coûteux et disproportionnés »(abonnement électrique gratuit, tarifs préférentiels sur la fourniture d’électricité, parc de logement dédié aux agents jugé « pléthorique », etc.) Cette mise en cause du statut, complétée par la remise en compte du régime des retraites, dans le cadre de la réforme globale en cours de finalisation, pourrait bien être l’objectif final.
Le projet mis en avant pourrait ainsi servir de repoussoir initial, de chiffon rouge, et préparer un « compromis » final dans lequel le statut et les garanties des salariéEs seraient sacrifiés en repoussant, provisoirement, une restructuration encore mal définie.
D’où la nécessité de clarifier les enjeux et le mode de mobilisation d’ici la journée de grève annoncée par l’ensemble des syndicats d’EDF pour le 19 septembre.
Robert Pelletier
- 1. Lire impérativement : Adrien Thomas, Une privatisation négociée. La CGT à l’épreuve de la modification du régime de retraite des agents d’EDF-GDF, L’Harmattan, 2006.