Devant la Cour d'appel de Versailles, les syndicats d'Amazon ont infligé une nouvelle défaite à leur patron. Ce vendredi 24 avril 2020, la première ordonnance de référé a été confirmée en grande partie et Amazon ne peut continuer son activité que partiellement.
Amazon France Logistique emploie près de 10 000 travailleurEs, répartis dans six entrepôts dans toute la France. Tout a commencé quand les salariéEs de ces usines ont refusé de venir s'exposer au coronavirus au travail, en côtoyant chaque jour des centaines de collègues, tout ça pour livrer des produits non essentiels. De nombreux salariéEs ont exercé leur droit de retrait. Et sur la quasi-totalité des sites, les représentantEs du personnel ont alerté la direction dans le cadre de la procédure pour exposition des salariéEs à un danger grave et imminent. Sur l'entrepôt situé dans le Nord, à Lauwin-Planque, une plainte pour mise en danger de la vie d'autrui a même été déposée (classée sans suite dès le 20 avril par le procureur de Douai, avec une rapidité surprenante…). Tandis que l'inspection du travail avertissait partout l'entreprise de l'insuffisance des mesures de prévention, la direction contestait les observations et mises en demeure, persuadée qu'elle obtiendrait de toute façon gain de cause au final.
Le syndicat Solidaires a décidé d'aller plus loin et de demander en référé la fermeture en raison du rassemblement dans un même lieu de plus de 100 personnes tant que toutes les mesures n'auraient pas été prises pour protéger les salariéEs.
Le 14 avril, en référé à Nanterre, les juges ont fait partiellement droit à cette demande. La fermeture totale n'a pas été ordonnée mais l'activité a été fortement restreinte : seules les ventes de produits alimentaires, d'hygiène et médicaux ont été autorisées tant que l'évaluation du risque ne serait pas faite, sous astreinte d’un million d'euros par jour !
Dans une entreprise qui vaut 1 200 milliards de dollars, et dont la fortune personnelle de son fondateur, Jeff Bezos, atteint désormais 145 milliards de dollars, cette astreinte peut paraître faible. Le patron d'Amazon fait partie de ceux et celles qui se sont enrichis à la faveur de la crise sanitaire, sa fortune ayant augmenté de 100 % depuis le début de la pandémie.
Mais tout de même, l'entreprise n'a pas voulu laisser passer. Tentant le tout pour le tout, sûr de son bon droit, le géant américain a fait appel.
Un camouflet pour Amazon
Mais la Cour d'appel de Versailles a confirmé le rappel à l'ordre. Elle a relevé qu'effectivement à la date du premier jugement, Amazon n'avait pas pris des mesures suffisantes pour préserver la santé des salariéEs (notamment à l’entrée des sites, dans les vestiaires, lors des interventions d’entreprises extérieures, lors de la manipulation des colis et au regard de la nécessaire distanciation sociale).
Et elle a ajouté qu'à la date de l'appel, le 21 avril, l'évaluation complète des risques d'exposition des travailleurEs au coronavirus n'était toujours pas faite. De plus, les représentantEs du personnel n'avaient toujours pas été sérieusement consultés sur les mesures pour protéger les salariéEs.
La conclusion est claire :
« Il résulte de ces éléments qu’au jour où la cour statue, l’absence d’une évaluation des risques adaptée au contexte d’une pandémie et en concertation avec les salariés après consultation préalable du CSE central ainsi que l’insuffisance des mesures prises par la société Amazon en contravention avec les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail demeurent et sont constitutives d’un trouble manifestement illicite, exposant au surplus les salariés, sur chaque site, à un dommage imminent de contamination susceptible de se propager à des personnes extérieures à l’entreprise. »
Les juges ont voulu rappelé fermement à l'entreprise que c'est bien l'employeur qui est responsable de la sauvegarde de la santé des salariéEs, et que cette responsabilité est d'autant plus forte en période d'urgence sanitaire.
La conséquence est tombée : les activités des entrepôts doivent être restreintes tant que l’employeur n’aura pas mis en œuvre une évaluation des risques ainsi que les mesures rendant possible la limitation des personnes présentes au même moment au sein de l’établissement afin de préserver la distanciation sociale à chaque poste de travail.
Amazon ne pourra donc plus vendre que les produits de première nécessité ou indispensables notamment au télétravail selon cette liste : « -High-tech, Informatique, Bureau -“Tout pour les animaux” répertorié dans la rubrique Maison, Bricolage, Animalerie -“Santé et soins du corps”, “Homme”, “Nutrition”, “Parapharmacie” répertoriés dans la rubrique Beauté, Santé et Bien-être -Epicerie, Boissons et Entretien. »
Une astreinte de 100 000 euros due pour chaque expédition de produits non autorisés a complété le dispositif.
La Cour d'appel de Versailles adoucit certes un peu le jugement initial qui réduisait davantage les produits autorisés. Elle refuse aussi, tout comme les premiers juges, de considérer que l'interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes décidée par le gouvernement s'applique à Amazon (et plus largement aux entreprises hors des secteurs obligatoirement fermés).
Mais tout de même, le camouflet est important.
Le rapport de forces syndical a payé
Car sans la pression exercée par les plaintes de tous les syndicats intervenants, par l'exercice des procédures d'alerte pour danger grave et imminent qui ont forcé l'inspection du travail à effectuer des contrôles sur sites, par l'exercice, surtout, de nombreux droits de retrait et par le bras de fer mené dans la presse par les syndicats pour dénoncer cette entreprise, cette décision de justice n'aurait pas été possible.
En parallèle Amazon continue de fanfaronner, déclarant qu'elle s'appuie sur d'autres réseaux pour poursuivre son activité, l'entreprise faisant appel aux entrepôts allemands, italiens, polonais et à son réseau de sous-traitants, notamment des auto-entrepreneurs surexploités. Elle a même nargué les autorités en rappelant que c'est bien La Poste qui continue d'acheminer ses colis « pour le dernier kilomètre » partout en France.
Le bras de fer continue. Seul le rapport de forces organisé par les travailleurEs paiera. Car en période de crise sanitaire, ce n'est pas l'union nationale derrière le président-patron Macron qui fait la force mais bien la lutte des travailleurEs qui est la seule qui paie !