La bataille en cours contre la fermeture de l’usine se mène peut-être sans l’espoir de changer l’issue qui nous est promise depuis dix ans. Les défaites lors des mobilisations plus ou moins récentes (Continental, Goodyear, PSA Aulnay, Métal Temple, GM&S…) n’aident pas à convaincre qu’empêcher une fermeture est possible. Et finalement on peut se demander si la première des batailles ne serait pas celle contre le fatalisme et la résignation ambiante.
Le constat est clair : les collègues sont, pour la plupart, comme paralysés, incapables d’agir ou sans volonté d’agir. C’est vrai, il y a l’usure de décennies de travail et donc moins l’envie de se battre pour garder son emploi, source d’ennuis, de fatigue, de blessures physiques et morales, avec le ras-le-bol des chefs, des pressions et chantages patronaux. Il y a aussi cette propagande permanente, partout, pour expliquer qu’on ne peut rien faire d’autre que subir, qu’il n’y a rien à faire contre les lois du marché.
Capitulation des pouvoirs publics
Ce sentiment d’impuissance est visible du côté des salariéEs. Et pourtant, cette pseudo-inéluctabilité des licenciements ou fermetures d’usines, ce sont les gouvernements, l’État, les pouvoirs publics qui l’ont fabriquée. Ils ont laissé les mains libres aux multinationales, aux capitalistes, ils leur ont donné quasiment les pleins pouvoirs, ils leur ont fait des cadeaux illimités, des « aides » qui relèvent d’un véritable vol, d’un détournement d’argent public qui va (in)directement dans la poches des actionnaires. Ford en est un bel exemple.
Mais quand il s’agit de rendre des comptes, il n’y a plus personne, ni du côté patronal, bien sûr, ni du côté du pouvoir. Après un semblant de bras-de-fer, le ministre Le Maire, l’élu local Juppé, et d’autres encore, se déballonnent et capitulent lamentablement. Ces gens-là revendiquent cyniquement leur impuissance au lieu d’imposer à Ford de respecter ses obligations envers les salariéEs et la collectivité. Cette désertion contribue à la résignation ambiante.
Bizarrement, une fermeture d’usine se passe tranquillement, sans cris, sans contestation, comme « acceptée » et faisant partie des lois de la vie. Tant pis pour les emplois perdus, pour l’aggravation de la précarité, le risque de sinistre social dans toute une région.
Minoritaires mais mobilisés
Sauf que même dans cette situation, on peut tenter l’impossible, oser s’opposer, proposer de lutter avec détermination. Nous sommes un noyau parmi les salariéEs de l’usine à vouloir résister pour dénoncer l’inacceptable. Alors nous multiplions les actions avec l’idée qu’on va changer la donne.
Le 20 juin à Cologne, nous étions 37 devant le siège de Ford Europe, déployant une banderole « Non à la fermeture », accueillis fraternellement par des syndicalistes allemands qui ont dénoncé le mépris et la brutalité des dirigeants de Ford. Sur la route, nous avions reçu le soutien des cheminotEs en lutte de la Gare de l’Est à Paris, un pot chaleureux et solidaire. Le 25 juin, grâce au cinéma de Blanquefort, c’était une séance-débat du film En Guerre, en présence du réalisateur Stéphane Brizé et de Xavier Mathieu (ex-Conti), pour discuter notamment de la violence des possédants. HK était lui aussi présent, pour chanter entre autres « On lâche rien ». Et le 26, nous avons tenté un blocage de l’usine le premier jour de la procédure PSE (plan de licenciements et fermeture de l’usine). À 30 nous avons peut-être fait le plus court blocage de toute l’histoire du mouvement ouvrier ! Mais nous étions là. Enfin, le 30 juin, nous appelons à une manifestation unitaire, à Bordeaux, contre la fermeture, contre les licenciements partout, avec le soutien de plusieurs organisations syndicales, associatives, politiques. Le sort d’une usine, comme de la SNCF ou d’un hôpital, c’est l’affaire de touTEs, donc on a besoin de riposter ensemble.
On se dit que le déclic viendra bien, que la colère l’emportera sur la résignation. À suivre.
Philippe Poutou