« On est là, on est là, même si l’IBIS ne veut pas nous on est là ! ». Avec ses collègues, Rachel Kéké anime le piquet de grève de l’hôtel IBIS Batignolles depuis le 17 juillet dernier à coup de percussions en tous genres et slogans sans équivoque : « Pour les droits des travailleurs et pour un salaire meilleur nous on est là ! », « L’esclavage c’est fini ! La maltraitance c’est fini ! ». Elle travaille comme gouvernante d’étage depuis 2003, dans cet hôtel parisien (17e) où elle a connu quatre sous-traitants, jusqu’au dernier en date, la société de nettoyage STN, qui a repris le marché il y a deux ans et demi.
Est-ce que tu peux nous expliquer quelles sont vos conditions de travail dans l’hôtel ?
STN donne à chaque femme de chambre 30 chambres à faire, en 4 heures. En réalité, elles travaillent 7 heures mais les heures supplémentaires ne sont pas payées. C’est comme ça qu’ils font du profit, en diminuant les effectifs et en augmentant les cadences. Nous, les gouvernantes, on contrôle jusqu’à 110 chambres par jour ! Et quand on refuse de prendre les chambres, pour les salariéEs en CDD ça veut dire pas d’embauche, pour les salariéEs en CDI ce sont des menaces. Pareil pour celles qui sont malades ou handicapées à cause de ce boulot : on les menace de mutation. C’est ce qui nous a pousséEs à commencer la grève, on n’en pouvait plus. On a alerté tout le monde mais personne ne nous a écoutéEs. Au bout d’un moment, les filles ont dit « stop, ça suffit, les chambres on n’en veut plus ». On s’est touTEs syndiquéEs et on a commencé la grève.
Votre première revendication c’est l’internalisation : pourquoi ?
La sous-traitance, c’est la maltraitance. Elle profite, menace, maltraite les salariéEs. Même les collègues qui travaillent directement pour l’hôtel nous disent : « ça fait des années que vous travaillez ici et qu’on profite de vous ». C’est pour ça qu’on préfère être en contact direct avec l’IBIS, d’autant que notre métier est important pour l’hôtel : c’est nous qui faisons les chambres or les clients sont là pour les chambres ! C’est nous qui leur faisons gagner de l’argent.
Ces dernières années il y a eu plusieurs mouvements de grève importants dans la sous-traitance hôtelière et on constate chaque fois que les grévistes sont majoritairement des femmes, issues de l’immigration. Est-ce que dans votre métier vous subissez des oppressions racistes et sexistes ?
Nous ça fait deux mois qu’on est là ; nos collègues de Marseille (conflit au NH Collection, ndlr) ça fait quatre mois qu’elles sont sur leur piquet de grève, et aucune négociation sérieuse n’est commencée. Alors moi je me dis que, à cause de la couleur de notre peau, ils pensent qu’on est venuEs en Europe pour demander toujours plus et ne veulent pas nous répondre. Ce qu’ils oublient c’est qu’en France on a des droits comme tous les travailleurs. Quand on est payéEs 4 heures pour 7 heures de travail, quand on est menacéEs, ils ne les respectent pas, alors on doit les réclamer. Ils nous demandent même de retirer nos Prud’hommes. S’ils n’avaient rien à se reprocher, ils ne nous demanderaient pas ça : ils savent qu’ils sont dans l’erreur et nous on ne lâchera rien. En tant que femmes aussi on a un traitement particulier. Il y a deux ans, une copine a été violée par un ancien directeur. La société sous-traitante ne l’a pas soutenue, par exemple en lui payant un avocat pour la procédure. Ils l’ont laissée comme ça : tant pis pour elle ! Si ça n’avait pas été une femme de couleur, peut-être qu’ils l’auraient soutenue, peut-être que les médias en auraient parlé. Là, personne n’a pris cette affaire au sérieux, comme si elle avait menti, comme si tout avait été inventé. Or c’est la réalité, IBIS sait très bien que ce viol a eu lieu. On ne devrait pas nous négliger comme ça : ça n’est pas parce qu’on est africains qu’il faut profiter de nous.
Qu’est-ce qui vous motive pour vous battre et tenir bon dans ce conflit déjà long ?
C’est dans la lutte qu’on gagne. Il y a beaucoup de luttes dans notre secteur et on a toujours gagné parce que nos revendications sont justes. Même les clients de l’hôtel viennent nous voir et nous encouragent. Ça nous donne la force de tenir, de nous battre pour nous faire respecter, pour qu’on ne puisse plus profiter de nous. Même quand c’est dur, il faut tenir, c’est comme ça qu’on obtient la victoire.
Propos recueillis par Marion, comité Paris 17/18