Jérôme Lorton, délégué syndical Sud chez Michelin, réagit aux annonces de suppressions de postes.
Peux-tu raconter quel est le plan prévu par Michelin ?
Michelin a annoncé le 6 janvier un plan de réduction de 2 300 emplois en France. Il avait été annoncé dans le « plan de simplification », essentiellement à Clermont-Ferrand, avec des objectifs de compétitivité de 25 % sur 5 ans avec un calendrier qui devait se terminer fin octobre, donc on s’attendait à une annonce en novembre ou en décembre – ils ont certainement reporté en raison du confinement. Mais on ne s’attendait pas à une telle annonce le 6 janvier, avec un plan très conséquent non seulement à Clermont – avec plus de 1 100 suppressions d’emplois, mais aussi sur tous les centres industriels du pays. Même si ça reste encore flou, on a des chiffres globaux, pas site par site. On a été particulièrement choqués par cette annonce.
Combien y a-t-il de salariés à Michelin ?
Il y a 21 000 salariés dans le groupe, le périmètre du plan concerne 18 000 salariéEs. Donc quand on nous dit dans la presse que ça concerne 10 % des effectifs, c’est faux, ça concerne 15 %, des licenciements dans le tertiaire et dans l’industrie. Le plan touche tous les sites et tous les corps de métier.
Quelles sont les réactions des salariéEs ?
La réaction est mesurée parce qu’on attend les impacts et les mesures précis. Michelin prétend que le projet ne repose pas sur des fermetures de sites et des licenciements. Mais tant que ce ne sera pas écrit noir sur blanc, je n’y croirais pas. Entre dire « le projet ne repose pas sur des fermetures de sites » et s’engager sur le fait qu’il n’y aura aucune fermeture d’usine, ce n’est pas la même chose.
D’autant qu’ils peuvent combiner départs volontaires, pousser les gens à la porte comme ça se voit dans pas mal de boîtes…
C’est ce qu’on craint, oui. Les ruptures conventionnelles sont supposées être faites quand il y a accord entre le salarié et l’entreprise sur la rupture du contrat de travail. Il va nous falloir des garanties : si des salariéEs ont un projet professionnel et veulent quitter l’entreprise, pourquoi pas… mais en ce moment on voit mal qui a un projet professionnel structuré et voudrait quitter l’entreprise du jour au lendemain en dehors de ceux qui partiraient avec des mesures d’âge. On sait que ces dernières mesures sont plébiscitées par le personnel, car on peut comprendre que quelqu’un qui a travaillé pendant toute sa vie derrière une machine veuille partir à la retraite le plus tôt possible.
Tu penses que des sites sont particulièrement menacées ?
C’est flou. Michelin a dit dans son communiqué de presse que si l’industrie est touchée, c’est parce qu’il y aurait un déficit de compétitivité. Que, pour eux, chaque année, les usines doivent améliorer leur objectif de compétitivité de 3 %, et jusqu’à 5 %. Certains directeurs de site disent ne pas être concernés par ces fermetures. Ça devrait être le cas pour une usine comme celle de Vannes, qui sort déjà d’un plan de compétitivité ; on ne peut pas dire aux salariéEs qu’on va en mettre une deuxième couche et qu’il va falloir encore travailler à une réduction des effectifs. Si Vannes n’est pas concernée, si Bassens non plus, et d’autres, alors ça veut dire que pour atteindre les objectifs de 15 %, certains sites vont avoir des objectifs de suppressions de postes bien supérieurs, avec des conséquences sociales très compliquées.
On attend, on l’a dit à la dernière réunion de négociation, de savoir quels sont les sites ciblés pour pouvoir les expliquer aux salariés, et revendiquer des investissements pour ces sites, travailler sur des alternatives. On dénonce le manque de volonté d’investir en France, c’est la première fois qu’il n’y a aucun objectif d’investissement lors d’un plan de la boîte. Alors que la compétitivité devrait avant tout passer par des investissements.
Quel est le calendrier pour vous ?
Le calendrier est le suivant : il y a comme première étape l’accord de méthode, puis l’accord-cadre. Sud a envoyé un courrier au président du groupe pour lui demander des engagements sur les fermetures de sites, car il est hors de question qu’on accepte une fermeture : on vit dans une entreprise qui tourne à plein régime, avec des manques de personnel dans certaines usines.
Parallèlement à l’accord-cadre, Michelin évoque une « co-construction » dans les usines, qui est supposée associer direction et représentants du personnel, mais on attend des explications. Pour nous, il est exclu que les organisations syndicales servent à l’accompagnement de la réduction des effectifs. On veut des moyens de formation pour la transformation des emplois en termes de digitalisation, et des investissements pour continuer à travailler en France et garder une empreinte industrielle : en fragilisant les sites, on pourrait au contraire aller vers leur fermeture en quelques années.
Quelles actions allez-vous entreprendre, quel lien avec la manifestation du 23 janvier ?
Le 23 janvier est la première action qu’on a souhaité mettre en place, on va rejoindre ce mouvement, avec Sud industries, pour débuter un rapport de forces. Sans mobilisation, on n’arrivera pas à faire changer de cap les patrons qui profitent de la crise pour réduire les effectifs, avec l’aval du gouvernement. On ne peut pas accepter que Michelin réduise les effectifs. Le gouvernement dit qu’il se concentre sur le vaccin, il faudrait aussi qu’il se concentre sur un vaccin contre les suppressions d’emplois, car sinon on va faire face à un effondrement de l’économie. Le rapport de forces entre les représentants du personnel et l’entreprise s’est dégradé, il faut trouver les moyens pour empêcher ce genre de projets.
Propos recueillis par Antoine Larrache