Entretien. Depuis jeudi 16 mars à l’aube, avec l’UD CGT du Val-de- Marne, une centaine de travailleurs sans papiers en grève occupent la Tour Semmaris du Marché d’intérêt national (MIN) de Rungis. Ils revendiquent leur régularisation. Ces sans-papiers travaillent dans des secteurs (intérim, nettoyage, agroalimentaire, etc.) où ils sont indispensables. Ils paient leurs impôts, ils cotisent à la Sécu, mais n’ont aucun droit. L’État est l’actionnaire majoritaire de la société Semmaris qui gère le MIN, ce qui souligne d’un jour cru la responsabilité du gouvernement qui a mis en œuvre la loi Cazeneuve de 2016 en imposant un CDI pour l’obtention de la carte de séjour d’un an, alors même que le CDI devient inaccessible pour des millions de travailleurs français privés d’emploi ! Nous avons rencontré Philippe Jaloustre, responsable de la commission Migrants de l’UD, qui vit en immersion et occupe nuit et jour les lieux avec les grévistes.
Comment s’est construite la mobilisation ? Quelles difficultés a-t-il fallu surmonter ?
Pour en arriver là, une période de préparation d’un an a été nécessaire. Mais rien n’aurait été possible sans les luttes antérieures de 2008, 2009, 2010 qui ont permis la régularisation d’un millier de travailleurs, avant que la loi Cazeneuve ne vienne durcir les conditions d’obtention de la carte de séjour. Les difficultés sont nombreuses. Déjà, les gars travaillent dans des entreprises différentes et occupent des boulots très divers. Mais surtout ils ne sont pas là par hasard : ils viennent ici pour faire vivre leurs familles restées au pays.
Ce sont les familles (et parfois un village) qui se sont cotisées pour leur permettre de venir jusqu’ici, et elles attendent qu’ils leur envoient de l’argent, ce qui exerce sur eux une pression permanente qui peut les conduire parfois à accepter n’importe qulles conditions de travail. Lorsqu’ils se sont mis en grève, il a fallu qu’ils obtiennent l’accord de leurs familles… Et puis, ce n’est pas tout de se mettre en grève : il faut pouvoir tenir avant que des solidarités se mettent en place. Ils ont constitué une caisse de grève et ont attendu d’avoir de quoi tenir 3-4 jours avant de se lancer. Après, la solidarité a pris le relais.
Comment s’organise la solidarité ? Quelle est l’implication des autres forces syndicales et politiques ?
Lorsque ce champignon a poussé, tout le monde a été surpris, aussi bien dans notre camp que dans le camp d’en face. Mais la réaction a été immédiate : en 24 heures, la solidarité s’est mise en place. Elle vient de partout. Principalement de la CGT : c’est elle qui est à l’initiative du mouvement, c’est un fait. Elle vient notamment des UL et des syndicats d’intérim, mais aussi des partis politiques, de certaines municipalités : dès le premier soir, chacun a eu de quoi dormir dans un sac de couchage, du matériel de cuisine est arrivé, de quoi manger, faire du café, de l’argent, etc. Tout le monde s’y est mis. On a de quoi tenir.
Du côté des autres syndicats, on a aussi reçu le soutien des UD Solidaires et FO du Val-de-Marne qui ont publié des communiqués.
Comment sont gérés les dossiers de régularisation ?
C’est un gros boulot qui occupe une dizaine de camarades toute la journée. Lorsqu’on a commencé, on avait 105 dossiers de constitués : ceux qui sont partis en grève. Aujourd’hui, il y en a 126 et autant de grévistes. Depuis qu’ils sont en grève, ils ont du temps pour compléter leurs dossiers. Maintenant que les négociations ont commencé, nous venons avec une liste de 126 noms. C’est la liste définitive. À présent, elle est close.
Où en sont les négociations ?
L’objectif est d’obtenir une carte de séjour pour tous ces travailleurs, et dans l’immédiat, pour tous, un récépissé avec autorisation de travailler. Lorsqu’on les aura obtenus, on lèvera le piquet. Des négociations ont commencé avec la préfecture et les patrons concernés. Il faut obtenir de ces derniers les attestations de concordance de l’employeur et le CERFA pour les travailleurs qu’ils emploient. En fait, notre interlocuteur est la Semmaris, c’est elle qui se charge d’obtenir les documents auprès des différents patrons. Les choses avancent, mais je ne peux pas t’en dire plus à l’étape actuelle…
L’occupation peut durer très longtemps, et en face, ils le savent. Lorsque la préfecture ou la Semmaris veulent nous voir, ils se déplacent, ça n’est pas nous qui allons chez eux. Le rapport de forces est en notre faveur, nous pouvons gagner.
Propos recueillis par Jacky Bru