Publié le Jeudi 22 mars 2018 à 18h56.

Pendant les mobilisations, le « dialogue social » continue

Depuis plusieurs mois le gouvernement travaille sur un projet de loi justement nommé « Pacte », destiné selon le ministre de l’Économie Bruno Lemaire à « faire grandir les sociétés françaises et mieux associer les salariés à leurs résultats ». Pas étonnant que le rapport préparatoire ait été élaboré par Jean-Dominique Senard, patron de Michelin, et… Nicole Notat. 

Au premier abord, le projet paraît presque intéressant. Il s’agirait d’élargir, dans le Code civil, l’objet de l’entreprise, défini par l’article 1 833 : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. » 

Du rêve… 

Il s’agirait d’ajouter que « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Ceci est supposé faire que les actionnaires voient plus loin que les seuls indicateurs financiers. IKEA, La ­Camif, Bosch, la filiale états­unienne de ­Danone (ancien employeur de ­Muriel Pénicaud) sont cités en exemple. IKEA, renvoyé en correctionnelle pour espionnage de ses salariéEs, considéré comme un modèle ? Voilà qui a de quoi inquiéter… 

Pour répondre aux craintes des associations de l’économie sociale et solidaire, le projet prévoit de nouveaux statuts d’entreprises à vocation sociale et environnementale, inspirés des entreprises à mission, sociétés à objet social étendu ou fondations actionnaires existant en Europe du Nord ou aux États-Unis. 

… à la réalité 

En fait, le pacte actera la naissance du fonds de 10 milliards d’euros consacré au financement de « l’innovation de rupture », et donnera le coup d’envoi du programme de privatisations ­destiné à abonder ce fonds.

Pour faire passer la pilule, Senard et Notat proposent d’augmenter le nombre des représentantEs syndicaux dans les conseils d’administration ou de surveillance dans les entreprises de plus de 1 000 salariéEs. Et Lemaire, interviewé par le Monde le 13 mars, redécouvre les mérites du gaullisme social : « Aujourd’hui, seules 16 % des entreprises de moins de cinquante salariés font de l’intéressement ou de la participation. En baissant le forfait social nous pouvons dépasser les 30 % dans des délais relativement courts ».

Le plus dramatique, c’est que les organisations syndicales acceptent non seulement de discuter, mais qu’en plus elles ne trouvent pas grand-chose à redire. La CFE-CGC plaide pour une autre redistribution de la valeur et, avec la CFDT, est prête à se battre pied à pied pour obtenir davantage de représentantEs dans les conseils d’administration. La CGT dénonce des mesures qui « conduiraient à fragiliser la Sécurité sociale et les régimes de retraite par répartition, compte tenu de l’exemption de cotisations sociales et de forfait social dont bénéficierait l’ensemble des dispositifs ». À la modification du Code civil, elle préfère l’article 8 de la Constitution de 1946, qui édictait que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises »

Et toujours le « dialogue social »

Ces discussions s’inscrivent dans la désastreuse logique du « dialogue social ». C’est au détour du début des années 1980, avec le tournant de la rigueur et les lois Auroux, que les organisations syndicales ont définitivement entériné le concept. Initiée par le recentrage de la CFDT en 1977-78 et gagnant la CGT, cette logique vise à remplacer la logique du conflit de classe par la négociation collective, avec le début de décentralisation vers les entreprises des relations sociales, l’irruption des accords donnant-­donnant, les accords dérogatoires. Les lois El Khomri, les ordonnances Macron et la loi Pacte s’inscrivent dans cette logique mortifère pour le mouvement ouvrier. 

Robert Pelletier