Entretien. Après avoir rencontré Arnaud Moujol de SUD (voir l’Anticapitaliste n°369), nous avons demandé à Karim Cheboub, délégué syndical central CGT, son appréciation sur la situation si emblématique du groupe d’habillement et de chaussures.
La consultation des CE en vue des deux PSE a commencé. Quelles sont les propositions des directions ?
La première réunion du Comité central d’entreprise de la Halle aux chaussures a eu lieu ce 2 février. Cette réunion nous a donné l’occasion d’échanger avec la direction sur les causes qui ont amené l’entreprise à cette situation catastrophique, aux difficultés actuelles, à licencier des salariéEs déjà dans la précarité. Une grande proportion de ces salariéEs sont en effet à temps partiel et au SMIC. La direction de l’entreprise invoque à chaque fois les difficultés économiques, la concurrence, la mauvaise météo et la conjoncture...
Des débats houleux ont marqué cette première réunion, la direction refusant de reconnaître ses responsabilités depuis quatre ans. Des errements stratégiques, l’instabilité des dirigeants, tant au niveau du groupe que de l’entreprise, l’augmentation de prix pour rehausser les dividendes et les marges, ont fait fuir notre clientèle habituelle et populaire qui n’a pas beaucoup de pouvoir d’achat.
Le choix des mauvaises collections et l’introduction des marques du groupe ont contribué à déstabiliser la clientèle. Une chute vertigineuse des bénéfices ont fait plonger les comptes de l’entreprise dans le rouge.
Les élus ont relevé des incohérences dans la fermeture de plusieurs magasins sans aucune justification économique, car plusieurs magasins ont des contributions positives et sont situés dans des zones de chalandise importantes.
Cela démontre encore une fois que c’est la logique financière des dirigeants actuels et des actionnaires qui prime. Le PDG actuel du groupe Vivarte, Patrick Puy, un fossoyeur, un destructeur d’entreprise, un spécialiste des plans de sauvegarde d’emploi au service des actionnaires vautours, est en œuvre dans son entreprise de démolisseur d’emploi.
Les premières propositions sont lacunaires et très peu engageantes sur le reclassement des salariéEs menacés de licenciement.
Cette première réunion nous a permis de voter une résolution sur l’absence d’information complète sur les licenciements d’une partie des salariéEs de l’entreprise, notamment l’impact sur la logistique.
À ce stade, les informations de la direction sont incomplètes car elle ne présente pas le projet dans sa globalité. Les élus du comité considèrent que les procédures d’information et consultation sont d’ores et déjà irrégulière, et une action en justice va être engagée si la direction ne reconsidère pas sa position.
Le gouvernement semble s’intéresser à la question. Qu’en attendez-vous ?
Après plusieurs semaines de mobilisations, une médiatisation de nos actions, l’intersyndicale a été reçue par les pouvoirs publics. Les représentants des syndicats ont demandé au gouvernement de prendre leurs responsabilités en interpellant les dirigeants de l’entreprise et en demandant des comptes sur l’utilisation des deniers publics, deniers distribués au titre du CICE et des allègements de charges sur les bas salaires... dans un groupe qui licencie massivement.
Le gouvernement semble prendre la mesure de la situation mais, pour l’instant, il reste dans le registre de la posture. Nous attendons des actes concrets d’intervention des pouvoirs publics dans la situation du Groupe Vivarte.
Plus largement, nous demandons que des dispositions soient prises pour créer une agence ou une structure de contrôle avec des pouvoirs injonctifs afin d’intervenir sur le rachat d’entreprise par un fort endettement, par des fonds spéculatifs (LBO) qui sont dans la rentabilité immédiate au détriment de l’emploi. Il faut une régulation par les pouvoirs publics, voire même l’interdiction du rachat d’entreprise par des spéculateurs avides de rentabilité immédiate sans état d’âme sur la situation de l’emploi et des salariés. L’État doit aussi s’impliquer sur le montage financier du type LBO, qui permet de se rémunérer sur la trésorerie de l’entreprise, sans partage de richesse avec les salariés.
Des lobbies issus de ces financiers et des actionnaires de ces fonds spéculateurs s’apprêtent à faire du lobbying à l’approche des élections présidentielles pour faciliter encore plus la législation concernant le recours au montage du LBO, dans le sens de la réduction de la fiscalité sur les plus-values, déjà très clémente...
Quelles sont les perspectives de mobilisations ?
Nous travaillons dans le cadre de l’intersyndicale à amplifier la mobilisation, même si nous sommes conscients que le secteur d’activité du commerce reste difficile à sensibiliser aux actions dures, compte tenu de la taille des structures (3 à 5 salariés), des salariés à temps partiel et dans la précarité. La dispersion géographique augmente encore plus la difficulté des mobilisations des salariés.
Une grève est aussi envisagée, mais aussi d’autres formes de mobilisation. Une pétition citoyenne a été lancée et nous mettons aussi à contribution les réseaux sociaux et les médias afin d’alerter sur les difficultés et la destruction de l’emploi à cause des financiers voraces, toujours prompt à exploiter des individus pour assouvir leurs comptes en banque.
Les négociations doivent durer encore quatre mois, et nous allons séquencer toutes les formes de mobilisation. Les syndicats ne sont pas résignés et vont aller jusqu’au terme de la lutte pour obtenir le reclassement du maximum de salariés.
Enfin, un autre volet judiciaire est ouvert afin de contraindre les dirigeants de l’entreprise et des actionnaires par la voie judiciaire à nommer un expert. Celui-ci devra investiguer pour rechercher si les dirigeants successifs ont réellement investi pour développer les entreprises du groupe Vivarte... ou s’ils ont œuvré à enrichir les actionnaires par le versement des dividendes.
Propos recueillis par Robert Pelletier