Pour sa 50e édition, le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême avait choisi de mettre à l’honneur l’auteur Bastien Vivès, en lui consacrant une exposition « Carte Blanche »… et l’a déprogrammée.
Bastien Vivès est un auteur bien connu dans le microcosme de la bande dessinée, son travail suscite une désapprobation de la part de plusieurs personnes issues du milieu. Ses bandes dessinées sont jugées, pour la plupart, misogynes et, pour d’autres, relevant de pédopornographie. La complaisance dont l’auteur a profité jusque-là est inacceptable, et son exposition au Festival de la bande dessinée a été le déclencheur d’une vague de contestations sur les réseaux sociaux. L’annonce de cette programmation crée donc un retentissement qui, pour la première fois, se propage au-delà de la sphère de la bande dessinée.
Incompréhension de l’indignation suscitée
Après cette mise en lumière, le Festival de la bande dessinée a décidé de déprogrammer l’exposition, pour la sécurité de l’auteur. Ce communiqué du Festival est une mince victoire. Certes, nous avons réussi à montrer, en tant que public mais aussi en tant que créateurices, que nous ne cautionions pas ce type de propos et de contenus, mais le communiqué est aussi insuffisant. Il témoigne de la non-compréhension de notre indignation à l’égard du contenu des bandes dessinées de Bastien Vivès, voire il tient de la provocation.
En effet, nous pensons que les justifications données par l’auteur et la défense du Festival sont révélatrices d’un système misogyne bien ficelé. Le milieu de la bande dessinée n’est pas exempt de ces mécanismes.
Il ne fait aucun doute que les livres de Bastien Vivès banalisent les images pédopornographiques, et que la caricature, décrite par l’auteur avec « l’hypertrophie des corps », ne tombe pas sous le sens. Il le dit lui-même. Il souhaite provoquer l’excitation de son lecteur à travers l’expression de ses propres fantasmes, que ce soit sur les questions de l’inceste ou des corps féminins, toujours hypersexualisés, stéréotypés.
Provocation ou fascination ?
Les récentes déclarations de l’auteur insistent sur le caractère provocateur et la manière dont les lecteurices sont supposés comprendre son œuvre. On peut se demander, à juste titre, s’il s’agit seulement de provocation. Comme l’a (enfin) relevé le journal Libération dans son article du 16 décembre, dès 2005, l’auteur a écrit sur un forum (Catsuka) être fasciné, voire excité, par ce qu’il décrit lui-même comme des dessins pédopornographiques.
En outre, il est important de rappeler que le lecteur porte un regard subjectif et que l’intention de l’auteur n’est pas garante de la réception de son œuvre par le public. En ce sens, l’auteur est responsable de ce qu’il produit et de la portée du contenu de ses œuvres.
Le débat n’est pas sur le plan de la liberté d’expression
Il s’agit pour nous, de décentrer le débat stérile sur la « liberté d’expression » en opposition à la « censure puritaine », pour aborder concrètement la signification de l’expression par le dessin de la pédopornographie, d’avoir une réflexion de fond sur ce que disent ses œuvres à ce sujet.
Il est donc nécessaire de poser les questions différemment : l’auteur peut-il affirmer que pour certains de ses lecteurs, les images produites ne vont pas être prises comme une vérité, celle qui consiste à dire que les enfants peuvent consentir à des rapports sexuels avec des adultes ? D’où peuvent provenir ces biais de réalité ? Cette banalisation et cette tolérance dans la société ont-elles des conséquences sur la prévention des actes pédocriminels et incestueux ? L’auteur peut-il affirmer que ce type de contenu n’encourage pas le processus du passage à l’acte ? Pourquoi la loi interdit-elle ce genre de représentation ? Que disent les associations de victimes et les études à ce sujet ? De quelle manière peut-on parler de l’inceste, de la pédocriminalité dans une œuvre ?
Nous avons une petite idée des réponses à toutes ces questions, et nous encourageons vivement tous ceux qui ont pris la défense et offert des tribunes à l’auteur, à se les poser aussi. Et enfin, d’abandonner le prisme de la censure et de se dire que l’on fait le choix éclairé de ne pas promouvoir, ni consommer ce type de contenu.