Cette année, pour la première fois, le forum central de notre université d’été a été consacré au mouvement féministe.
Depuis plusieurs années nous avons vu la montée des mobilisations féministes à travers le monde, depuis les grandes manifestations contre les violences faites aux femmes en Inde en 2012, en Argentine, dans l’État espagnol ou au Mexique en 2015, les mobilisations pour le droit à l’avortement également dans l’État espagnol en 2012, en Pologne en 2016 et avec grande réussite dans le référendum en Irlande en 2018. Le mouvement #MeToo depuis 2017 souligne à quel point les femmes sont l’objet quotidiennement de harcèlement et de violences sexuelles. Les femmes sont en outre au premier rang des mobilisations contre Trump en 2017, contre Bolsonaro au Brésil, ou aujourd’hui dans les processus en cours en Algérie et au Yémen.
C’est par un rappel de ce contexte que Penny Duggan, pour la commission nationale d’intervention féministe, a introduit le forum. Puis elle a souligné l’émergence d’un mot d’ordre de grève, d’abord en Amérique latine et repris ensuite aux États-Unis et en Europe, notamment avec la grève des 6 millions dans l’État espagnol en 2018.
Succès de la grève en Suisse
C’est autour de la préparation, mobilisation et succès de la grève que nos invitées ont contribué sur l’expérience de leurs pays. D’abord Clémence Jung, militante de la coordination de SolidaritéS, parti anticapitaliste en Suisse, juriste syndicale et membre du collectif grève des femmes en Suisse romande, a expliqué pourquoi en Suisse la grève des femmes s’est tenue le 14 juin, date anniversaire de la première grève des femmes en Suisse en 1991 quand un demi-million de femmes s’étaient mobilisées pour que l’article de la Constitution adopté 10 ans plus tôt devienne la réalité : « L’homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l’égalité, en particulier dans les domaines de la famille, de l’instruction et du travail. Les hommes et les femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. » Elle a précisé les moyens par lesquels, d’assemblée générale en collectif local en passant par l’écriture d’un Manifeste adapté aux différentes parties linguistiques du pays, elles ont travaillé à construire un mouvement large, inclusif, où les syndicats étaient également partie prenante, comment le groupe juridique dont elle fait partie a écrit une brochure pour expliquer comment faire valoir le droit de grève (extrêmement restrictif). Le résultat a été une grande réussite avec plus d’un demi-million de femmes et d’hommes solidaires qui ont pris part aux mobilisations à travers tout le pays. À cela, il faut ajouter des milliers de personnes qui, dès minuit, ont occupé l’espace public, certains lieux de travail ou qui ont simplement manifesté leur solidarité avec la grève en arborant la couleur violette ou le badge réalisé pour cette occasion.
« Quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête »
Ensuite Ellen Verryt, militante du SAP-Gauche anticapitaliste en Belgique et membre du « Collecti.e.f 8 maars », a repris sur le travail de préparation de mobilisation, comment à chaque moment de nouvelles questions telles que le problème de la transphobie ou de l’homophobie, pouvaient se poser à partir de petits incidents mais devenaient un moment de débat, de politisation et de renforcement de la force collective du mouvement, avec par exemple la création d’une commission inclusivité. De nouveau, l’accent a été mis sur le travail à la base, la création des collectifs, des assemblées générales pour cette première grève nationale féministe de femmes. Une grève différente, basée sur 4 axes : grève du travail salarié, mais aussi grève des soins, une grève étudiante et une grève de la consommation, autour du slogan : « Quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête ». Il est difficile de chiffrer ce succès mais, dans de nombreuses villes de Belgique, des milliers de femmes se sont mobilisées et/ou mises en grève et se sont rendues « visibles » par leur absence dans leurs tâches quotidiennes. Les principaux syndicats, la CSC et la FGTB, ont soutenu la grève.
Des expériences et des débats
En 2018 des militantes de l’État espagnol nous avaient déjà raconté leur grève massive. Cette année, Julia Camara, militante d’Anticapitalistas et porte-parole de la coordination de la grève des femmes au niveau fédéral, a mis l’accent sur l’importance de ce mouvement international, qui pour la première fois est né dans le Sud, en Amérique latine, qui a fait le lien entre les violences faites aux femmes – une des étincelles a été l’assassinat d’une jeune fille de 15 ans – et la violence du capitalisme et de l’austérité à l’égard des femmes. C’est donc un mouvement qui pointe la contradiction entre vie, dans tous les sens du terme, et capitalisme, et donc un féminisme très différent d’il y a dix ans.
Elle a insisté sur l’importance aujourd’hui de ce mouvement comme principal vecteur de politisation et radicalisation dans le monde, avec les questions environnementales, et qui repose sur l’idée d’action collective et pas individuelle, comme l’« empowerment » prôné par certaines pendant les années précédentes.
Le riche débat qui a suivi les présentations a pu également se poursuivre dans l’assemblée non-mixte des femmes qui s’est tenue juste après. Parmi les questions en débat dans ces deux moments, la grève des femmes dans la sphère reproductive ou domestique : porte-t-elle plus qu’une grève sur les lieux de travail des salariéEs ? Autre question : comment faire en 2020 quand le 8 mars tombe un dimanche ? Continuer avec le mot d’ordre de grève s’adressant aux salariées qui sont contraintes de travailler le dimanche, notamment dans les services publics indispensables, mais aussi de plus en plus dans le commerce, et en utilisant les possibilités ouvertes par la date du dimanche de mobiliser encore plus largement pour les manifestations et autres activités. Il s’agit également de saisir l’occasion du 8 mars pour faire un travail de popularisation de l’idée de la grève et de la nécessité des mobilisations des femmes sur tous les fronts dans les lieux de travail, d’études et des quartiers.
Comme a dit Julia, les intérêts des femmes sont les intérêts de la classe ouvrière. Quand nous sommes des millions dans la rue, comment douter que la lutte des femmes est elle-même la lutte des classes ?
Penny Duggan