Une fois la parole libérée, non seulement les témoignages des victimes survivantes s’accumulent mais en plus les portes des archives s’entrouvrent, laissant voir comment depuis cinquante ans la Fondation et l’Église catholique ont condamné les victimes au silence et ont transformé en pleine connaissance de cause, mais pour les besoins de la cause, un agresseur systémique en « saint ». Il va falloir aller au bout de la libération de la parole, secouer tous les cartons poussiéreux pour prendre la mesure des responsabilités collectives de ceux qui, au lieu de protéger les femmes qui se retrouvaient à son contact, les désarmaient totalement face à un comportement de prédateur sexuel.
Il est d’abord urgent d’exprimer aux victimes solidarité et respect. Solidarité avec celles qui ont trouvé la force de survivre aux souffrances, à la silenciation et à la culpabilisation d’agressions d’autant plus violentes de la part d’un homme universellement respecté et même adulé autour d’elles. Parce que beaucoup de ces femmes ont parlé et « on » les a réduites au silence. « La décision que la politique du silence était la meilleure pour le moment était précisément basée sur ce désir de protéger [des] buts fondamentaux », écrivait un proche, le 23 mars 1956, à l’un des responsables d’Emmaüs. On peut être sûr que sans le rapport de forces imposé par le mouvement #Metoo dans les différents secteurs de la société, sans le combat pendant des décennies des victimes de crimes sexuels dans l’Église pour imposer une Commission spéciale d’enquête, Emmaüs International n’aurait pas, de sa propre initiative, ouvert les vannes.
Rien ne réparera les blessures et traumatismes causés par ces agressions. C’est un véritable concentré de ce que le système patriarcal de domination et de négation des femmes a pu produire soulevant encore des interrogations, comme celle d’un représentant d’Emmaüs ces derniers jours : « On est profondément déçus et dans l’incompréhension sur le fait qu’un homme qui [avait] aussi bien compris les enjeux de dignité humaine et porté des valeurs fortes d’humanité et de solidarité, ait pu se montrer aussi catastrophiquement désastreux et violent dans son rapport aux femmes ».
Le combat continue, et il passera aussi par la levée de la prescription sur les crimes sexuels pour permettre la reconnaissance des victimes mais surtout la compréhension des mécanismes qui les ont banalisés et autorisés.