Publié le Jeudi 13 février 2025 à 14h00.

Le débat dans la CGT devant le tribunal

Le 5 février comparaissaient à la 17e chambre du tribunal de Paris l’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) et Gérald Le Corre, membre de la CGT, lesquels sont poursuivis par un autre membre de la CGT.

L’AVFT pour avoir écrit une lettre à la direction de la CGT, datant de février 2023, contestant la réintégration de Benjamin Amar en tant que responsable national départemental de la CGT du Val-de-Marne (94) dont le comportement lui semblait « incompatible avec les principes de dignité humaine et d’égalité femmes-hommes » défendus par le syndicat. La plainte contre lui pour « viols avec torture et actes de barbarie » d’une militante, qui avait également saisi l’AVFT et la CGT, avait été classée sans suite en août 2022. 

Gérald Le Corre comparaissait pour avoir divulgué la lettre de l’AFVT dans la CGT en mars 2023. Un geste, qui lui vaut d’ailleurs la défiance de l’AVFT, qui considère que le consentement de la victime était un prérequis et pour qui la lettre n’avait pas vocation à être diffusée. 

Là n’était toutefois pas le sujet dans la salle d’audience archi-moderne, mobilier blanc et couleur bois. Il s’agissait pour l’AVFT et Gérald Le Corre de se défendre des accusations de Benjamin Amar d’« atteinte à la vie privée ».

Atteinte à la vie privée, vraiment ?

La salle était pleine ! Et pour cause ! Il s’agissait là d’une audience à caractère politique, qui n’a pas manqué de susciter des réactions, chuchotements et railleries étouffées, ­notamment pendant la longue plaidoirie de l’avocat de Benjamin Amar.

Bien qu’il s’en soit défendu, Jérôme Karsenti a en quelque sorte refait le procès et imposé aux trois magistrates la chronologie détaillée des événements, pointant l’importance de leur « décision qui fera jurisprudence », dont l’enjeu se résumait selon lui à opposer deux droits fondamentaux : le droit à la vie privée et la liberté d’expression. Un peu court, sans aucun doute ! 

Ou débat d’intérêt général !

Pour l’avocat de Benjamin Amar, qui réclame le droit « à la complexité et la subtilité », la lettre de l’AVFT est tout simplement une remise en cause de la décision de justice de 2022 et une instrumentalisation de la plainte à des fins de règlement de compte politique. Cette lettre dévoilerait des éléments qui relèvent du secret de l’instruction, voire des propos tenus dans « l’alcôve »… de la garde à vue ! Sans rire, on n’imaginait pas tant d’intimité possible ni (même) souhaitable avec la police ! Il accuse : les propos tenus lors de l’expertise psychiatrique sont divulgués, révélant les fantasmes de son client ! 

Jusqu’ici donc rien de nouveau : la domination masculine réclame le silence, l’omerta, le droit à la vie privée. On s’en serait douté. Jusqu’à considérer la garde à vue comme une « alcôve », c’est plus innovant !

Face à tous ces arguments, les deux avocates de la défense, au-delà des désaccords entre leurs clients, ont défendu le « droit à l’expression » au nom du débat d’intérêt général. Marjolaine Vignola pour l’AVFT et Maude Beckers pour Gérald Le Corre ont opposé à la protection de la prétendue vie privée la défense des valeurs humaines, des droits des femmes et de la législation pénale en matière de violences sexuelles, et donc l’interpellation de la CGT. Au nom des valeurs qu’elle défend. 

Nul doute que si la CGT avait pris les décisions qui s’imposaient en leur temps, c’est-à-dire maintenir le retrait de Benjamin Amar au nom des valeurs du syndicat, ces débats ne seraient jamais arrivés en justice, donc sur la place publique.

Le délibéré sera rendu le 26 mars. Une décision de justice qui fera date, à n’en pas douter ! Et nous, féministes et anticapitalistes, nous continuerons de combattre l’omerta et le pouvoir qu’elle donne à ceux qui en abusent. L’Anticapitaliste est d’ailleurs poursuivi par Benjamin Amar pour diffamation pour un article de septembre 2022 qui s’émouvait et s’interrogeait sur la ­réintégration de Benjamin Amar. À suivre, donc !

FD