Le 17 mai 1974, entre les deux tours de l’élection présidentielle qui devait voir la victoire de Giscard d’Estaing, paraissait dans Rouge et Libération un appel de 100 soldats, appelés du contingent, mettant en avant une liste de revendications à vocation démocratique.
L’Appel revendiquait notamment « le libre choix de la date et du lieu de l’incorporation entre dix-huit et vingt-cinq ans », « une solde égale au SMIC et la gratuité des transports », « la possibilité pour les engagés de résilier leur contrat à tout moment », « la suppression des brimades sous toutes leurs formes et l’obtention de permissions hebdomadaires », « la suppression des incorporations au-delà des frontières nationales », « la liberté totale à l’information et à l’expression politique dans les enceintes militaires », « le libre choix de la tenue civile ou militaire en dehors des heures de service », « la dissolution de la sécurité militaire », « la suppression des tribunaux et sanctions militaires ».
Un climat propice
La France sociale et politique de cette année s’inscrivait dans la suite de Mai 68 dont le soulèvement généralisé avait cependant épargné l’institution militaire au sein de laquelle seules quelques déclarations anonymes comme celle provenant du 153e RIMECA1 de Mutzig avaient laissé transparaître des velléités de refus de soldats du contingent de s’affronter aux grévistes.
Une période où les luttes ouvrières exprimaient notamment l’aspiration au contrôle et à l’autogestion, telle que l’emblématique lutte prolongée des Lip en 1973.
La critique de l’institution militaire se manifestait, pour l’essentiel, à l’extérieur des casernes, venant de pacifistes et objecteurs de conscience, lourdement réprimés. La mobilisation autour de la résistance à l’extension du camp militaire du Larzac avec des rassemblements massifs sur le plateau au cours des étés 1973 et 1974 tendait à fédérer les mobilisations sociales, antimilitariste, anti-autoritaires.
Au printemps 73, la loi Debré limitant l’accès aux sursis, votée en 1970 et entrant en vigueur à partir de janvier de cette année 73, déclenche un mouvement lycéen d’ampleur qui met la question militaire sur le devant de la scène. De février à avril, des dizaines de milliers de manifestant·es exigent sa suppression. Si la mobilisation n’obtint pas gain de cause, le mouvement sensibilisa de larges franges de la jeunesse à l’antimilitarisme, avec des jeunes qui, pour beaucoup, firent leur service militaire entre 1974 et 1976.
Le coup d’État militaire de septembre 73 au Chili et la révolution des œillets au Portugal relancent les débats sur la pertinence et l’urgence d’une interventions couplée, interne et externe, à l’armée.
Ce renouveau de l’antimilitarisme s’illustre par la présence de soldats organisés autour de la LC2 dans le FSMAR3 dans les manifestations syndicales du 1er mai et par l’assemblée générale de 500 appelés dans la cour de la caserne de Fontainebleau, suivie d’un sit-in, pour la mort de deux d’entre eux à la suite d’un accident le 14 aout. Parallèlement sont créées des organisations antimilitaristes civiles liées à la LC, Révolution et au PSU (CDA, CAM, IDS)4.
Un vrai succès
C’est dans ce mouvement que le FSMAR est, pour l’essentiel, à l’initiative de la pétition dite de l’Appel des Cent. Ce sont rapidement des centaines puis des milliers de soldats, appelés et engagés, qui apposent leurs noms en bas du texte de l’Appel des Cent. En face, la riposte du pouvoir et de la hiérarchie est hésitante. Les sanctions suscitent des réactions, les mutations offrent de nouvelles opportunités à ceux qui sont envoyés dans d’autres unités. Cela va donner une répression différenciée et modérée avec une tentative de black-out sur le développement du mouvement. Mais au total cela engagera un développement important des comités de soldats et surtout les manifestations de soldats en uniforme dans les rues de Draguignan, de Karlsruhe, Nancy, Verdun… S’essayant au « en même temps » fait de répression et de mesurettes d’amélioration de la condition du soldat, le pouvoir décidera d’amplifier la répression quand une fraction du mouvement ouvrier s’engagera dans un mouvement de création de sections syndicales de soldats avec la mise en œuvre de la Cour de sûreté de l’État en novembre 1975.
- 1. Régiment d’infanterie mécanisé.
- 2. Prolongée par le FCR puis la LCR suite à la dissolution de la Ligue communiste après la manifestation contre Ordre Nouveau en juin 73.
- 3. Front des soldats marins aviateurs révolutionnaires.
- 4. CDA : comité de défense des appelés ; CAM : comité antimilitariste ; IDS : Information droits des soldats.