Il y a 150 ans, la ville de Paris a été le théâtre d’un événement marquant un tournant historique. Selon Karl Marx, l’un de ses analystes les plus influents, la Commune constitue « la forme politique enfin trouvée » de l’émancipation de la classe ouvrière. Commençant avec un élan patriotique, cette mobilisation populaire inédite a en effet éclaté pour défendre la poursuite de la guerre contre la Prusse, la Commune de Paris constitue encore aujourd’hui le socle pour l’élaboration de formes d’auto-organisation populaire.
Que reste-t-il aujourd’hui de la Commune de Paris ? Y a-t-il une actualité de la Commune dans nos luttes ? Ce sont les questions que nous avons posées à des militantEs que nous avons rencontrés lors des dernières mobilisations contre la loi sécurité globale et, plus largement, contre la politique néolibérale du gouvernement Macron.
Nous, les enfants de la Commune
Pour les militants politiques de notre courant, la Commune de Paris constitue une démonstration puissante des capacités critiques et d’auto-organisation de notre camp social :
« La Commune c’est une expérience qui montre que quand les gens sont acculés par la situation, quand leurs conditions de vie se dégradent et ils comprennent que le pouvoir en face ne fait rien pour eux et que, au contraire, il suit ses propres intérêts, les gens s’organisent, se soulèvent et trouvent un moyen de mener un combat…
La Commune me fait penser aux gens qu’on avait rencontrés pendant la mobilisation des Gilets jaunes et pendant les dernières petites grèves comme celle de la réforme des retraites. Ces militantEs se reconnaissent dans cette mémoire-là, ils ont l’impression qu’ils ont raison, que c’est leur histoire, ce sont des enfants de la Commune de Paris.
La question qui se pose est comment on refait une Commune aujourd’hui ?
La situation à l’époque était quand même très différente, la classe ouvrière n’était pas organisée de la même façon, aujourd’hui on est dans une situation de pandémie… Malgré ces différences, si on part du printemps arabe, la décennie qui vient de s’achever a été pleine de mobilisations internationales, des femmes en Argentine et en Pologne mais aussi des travailleurs au Soudan ; il y a eu le Hirak en Algérie l’année dernière, les Gilets jaunes, la Biélorussie, la Russie. Tout ça semble s’accélérer progressivement et donc on se dit qu’il y a la possibilité que tout ça à un moment décante… Un parti révolutionnaire devrait justement permettre à ces mouvements d’aller le plus loin possible… » (Chloé, NPA)
L’insurrection comme droit et devoir du peuple
Humiliée par la défaite, éprouvée par le siège, la ville de Paris assiste impuissante au défilé des Champs-Élysées célébrant la victoire des Prussiens. Cela déclenche une rage qui se répand dans les quartiers populaires de Montmartre, de Belleville et de la Villette. Replié sur Versailles, le gouvernement de Thiers décide de retirer les armes aux ParisienEs. La réaction de la ville doit aussi être insérée dans le contexte de l’époque où la Garde nationale était devenue un gagne-pain ainsi qu’une instance centrale dans la vie de la communauté. La tentative de désarmement des citoyenEs parisiens a probablement aussi été vécue comme le prélude à un coup d’État monarchiste. C’est alors que le peuple déclare, par l’insurrection, son droit à prendre en mains ses affaires et sa volonté d’instaurer un gouvernement autonome de Paris.
Célébration d’une démocratie radicale, l’expérience de la Commune permet donc de penser et questionner la violence d’État et y opposer une symbolique forte ainsi que des répertoires d’action adaptés.
« Je disais comme une plaisanterie tout à l’heure que les policiers nous empêchaient d’arriver au rond-point de la rue des Postes, on disait avec une camarade "On dirait qu’il y a un trésor au milieu ". "Mais non", j’ai dit, "ils ne veulent pas qu’on occupe le rond-point". Ce qui me fait penser à cette histoire importante. J’ai récemment écouté un documentaire sur la Commune où on rappelait que les communards de Paris ne sont pas rentrés dans la Banque de France, ils n’ont pas pris les lingots, du coup ceux-ci sont partis, ils ont été mis en sécurité par le gouvernement de Thiers, dans des petites caisses où il y avait marqué "Attention explosif !"
Ils n’ont pas voulu piller la Banque de France par légalisme car ils disaient, "On est Républicains, nous, on ne pille pas". Oui mais les autres l’ont fait… C’est quoi la violence au final ? Casser une grille ? Forcer une porte ?
C’est vrai qu’il faut réfléchir, il faut qu’il y ait une bonne raison pour le faire ; comme pour ceux qui ont pris la Bastille, il paraît qu’il n’y avait presque plus de prisonniers là-dedans mais c’était le symbole d’une grosse oppression. Si aujourd’hui on rentrait dans la préfecture de force pour exiger qu’ils donnent des papiers aux sans-papiers, cet acte pour moi aurait un sens. Comme pour ceux qui ont coupé des champs de maïs OGM en disant "On a une vraie raison car nous, les autres paysans, on va recevoir ces grains-là et ils vont nous contaminer". Ces gens n’ont pas eu de condamnation car il s’agissait d’une légitime défense. Bien sûr il y a une grande différence entre forcer des portes, couper du maïs et tuer des gens ; on met tout sous le terme de violence mais il faut réfléchir à ce que ça veut dire … il faudrait parfois qu’on arrête d’hésiter, se dire qu’il faut forcer le cours de l’histoire. » (un militant d’Attac)
Vers une citoyenneté radicale
L’une des premières actions entreprises par les communards a été l’organisation des élections dans le cadre desquelles les électeurs ont plébiscité les listes soutenues par le Comité central des 20 arrondissements (né au début du siège de la ville) ou par l’Internationale. Les 66 membres de la Commune (sans compter les 19 modérés ayant renoncé) constituaient donc un organisme révolutionnaire élu démocratiquement !
Dès le 15 septembre, l’Affiche rouge, rédigée par le Comité central des 20 arrondissements, envisageait une transformation du système politique, économique et social avec l’abolition de la police et de la bureaucratie, l’élection de tous les fonctionnaires, l’expropriation de toutes les denrées alimentaires, un rationnement égalitaire, la distribution des armes et la mobilisation de toute la population.
« Les gens en ont marre, pendant la Commune c’était la même chose… Le président aujourd’hui il se fout de notre gueule, il est incompétent et il doit partir, c’est tout…
En plus, il a la haine des gens en les traitant d’alcooliques, de gueux, de Gilets jaunes ; il a la haine c’est ça qui est le pire… et ça il va le payer cher… Il méprise les gens et il n’a pas encore compris que c’est fini pour lui. Je ne sais pas si jamais j’ai une chance plus tard je pense que je vais me tirer d’ici. Mais il faudrait vraiment faire barrage à cette classe politique ; il faudrait sanctionner les hommes politiques par les urnes et tout le bazar mais ce qui est d’hommage est qu’il y a parfois des gens qui se présentent sans étiquette et les électeurs qui disent en avoir marre des hommes politiques ils votent au final toujours pour eux, je ne comprends pas ça … Pour les Gilets jaunes, le RIC et la révocabilité des élus sont des revendications importantes, il y aurait beaucoup plus de liberté avec le recours aux référendums mais après il faut qu’ils respectent cette liberté, parce qu’il y a eu des référendums, comme celui sur le traité de Lisbonne où, au final, ils ont ignoré le Non et voté Oui au Parlement… En fait le référendum il faut que ça aille dans leur sens … sinon ils ne vont pas prendre en compte l’opinion des citoyens. » (Vincent, Gilet jaune)
La Commune : une classe en mouvement ?
La proclamation de la Commune a aussi été interprétée comme une revanche des quartiers ouvriers et un acte de réappropriation de la ville, ce qui n’est pas sans rappeler l’occupation inhabituelle des beaux quartiers parisiens lors des premiers actes des Gilets jaunes en 2018. Ceux-ci ont été également l’occasion de mettre à jour un certain nombre de débats concernant la justice sociale et démocratique, les formes de délégation et le rapport du citoyen aux institutions.
« Je crois qu’il y a une actualité de la Commune, la population aujourd’hui est en train de s’exprimer contre un gouvernement qui décide, évidemment différemment par rapport au gouvernement de Thiers, mais qui décide de façon unilatérale. Dans la Commune comme ici, même si c’est plus minoritaire, il y a une volonté des gens de prendre en main leur lutte, leur combat, de ce point de vue je trouve qu’il y a des points communs avec la Commune.
Il y a aussi l’aspect de la démocratie directe, de la prise en charge des mobilisations. Dans le cadre de la Commune, cela est évident, mais il l’est tout autant dans le cas des ZAD.
Lorsqu’on regarde ce qui s’est passé pendant la Commune de 1871, on remarque qu’il y avait beaucoup d’ouvriers mais aussi des petits boutiquiers, des petits magasins, des artisans. D’une certaine manière, au début du mouvement des Gilets jaunes, ça dépassait largement les couches sociales habituelles du syndicalisme ouvrier. Il y a donc aussi des points de ressemblance et des leçons à tirer parce que sans doute, dans le mouvement ouvrier, on avait une manière peut-être de ne pas prendre en compte des couches sociales qui subissent d’une manière très difficile la crise et puis l’austérité. » (Corrado, Ligue des droits de l’homme)
Socialisation des richesses et auto-organisation
Pour les communards, la poursuite de la guerre était associée à l’émergence d’une République démocratique et sociale longtemps attendue. L’égalité des conditions sociales et économiques était considérée un préalable pour l’exercice et la réalisation de la démocratie. Les formes horizontales d’organisation politique (commissions, révocabilité des élus, assemblées de quartier, clubs…) accompagnaient les mesures d’annulation des dettes pour les foyers pauvres et les actions visant à reprendre en main l’économie et les ateliers.
« Je crois que les mêmes choses se posent aujourd’hui, si nous pensons au système de la sécurité sociale, par exemple, c’est une façon de socialiser les richesses et de socialiser le travail ; ces aspects organisationnels se posaient également à l’époque de la Commune de Paris et aujourd’hui on voit que cet héritage est en danger. » (Julien, Sud Santé)
« Un autre aspect important concerne la question de l’auto-organisation. Quand on regarde aujourd’hui les pratiques d’occupation des théâtres de la part des travailleurEs de la culture, on se rend compte qu’il y a une recherche et une expérimentation de formes de prise de décision, de débat et d’organisation démocratique ; ils se structurent en assemblées, ils se réunissent en commissions pour essayer de reprendre en main leurs lieux et leur outil de travail précisément comme à l’époque de la Commune. Au-delà de la contestation de la réforme du chômage, le monde de la culture revendique aussi le droit à proposer des solutions et à se réinventer dans le contexte actuel. Comme dans d’autres secteurs, ces travailleurEs n’ont aucun rôle dans le système de prises de décision et dans la recherche d’alternatives pour faire face à la crise sanitaire. » (Victoria, Sud Santé)
La Commune n’a pas une seule signification, elle ne correspond pas à un seul courant politique ni d’ailleurs à un seul programme. Alors, comme aujourd’hui, elle cristallise des mouvements et des aspirations libertaires, communalistes, démocratiques, républicaines, socialistes, révolutionnaires. Mais si nous ramenons cet épisode de notre histoire à l’essentiel, nous pouvons écouter ce même cri pour l’affirmation du droit du peuple à s’auto-gouverner.