Ce reportage publié dans la revue syndicaliste révolutionnaire Révolution prolétarienne n°169 donne un aperçu de la puissance des grèves qui ont suivi le 6 février 1934.
Au lendemain des manifestations fascistes de la place de l’Hôtel-de-Ville et de la Concorde, une cinquantaine de militants du Syndicat des Agents sont réunis dans une salle de la Bourse du Travail, sur l’initiative de notre camarade Mathé, secrétaire départemental.
Les événements, depuis la veille, se sont déroulés avec une rapidité foudroyante. Au cours d’une discussion, nous échangeons des idées. On sent chez certains du désarroi et de l’inquiétude. Le beau manifeste de la Fédération, paru le matin même, est unanimement approuvé. C’est le premier cri d’alarme qui trouve un écho puissant dans la conscience des Travailleurs des PTT.
Le sentiment général est qu’il faut réagir sans perdre de temps. C’est à la CGT qu’il appartient de prendre une décision. Un coup de téléphone nous apprend alors qu’elle vient de lancer le mot d’ordre d’une grève générale de vingt-quatre heures pour le lundi 12 février.
En bataille
Nous voici donc à pied d’œuvre. Nous avons quatre jours pour préparer notre mouvement, alerter nos sections et la masse de nos camarades, convaincre les hésitants, prendre toutes dispositions utiles à une pleine réussite. On convient, avant de se séparer, de se rencontrer chaque soir dans un local désigné immédiatement. Dès lors, nous commençons de vivre quatre jours d’activité fébrile, quatre jours de fièvre pendant lesquels les militants sont sur les dents. On organise réunion sur réunion. Distribution massive des tracts de la Fédération, de l’UD (Union départementale) de la CGT. Parfois des bruits pessimistes circulent : telle grande usine postale ou télégraphique serait tiède ou ne marcherait pas dans le mouvement. Il faut démentir, rétablir la confiance par des informations précises. La grande presse accomplit sa besogne néfaste, s’efforce de jeter le trouble et la panique, fait un sort aux communiqués d’organisations professionnelles qui ne représentent qu’un timbre de caoutchouc.
Jeudi soir, 8 février, à l’assemblée des Conseils syndicaux de la région parisienne, on remarque que nulle intervention des camarades du rail ne se produit. Cette absence est commentée avec une pointe d’inquiétude. Elle devait être pour nous, postiers, un assez lourd handicap. Dans la journée de vendredi, il en résulta chez beaucoup d’entre nous, un flottement. Il a fallu toute l’énergie des militants pour dissiper le malaise, surmonter cette défaillance.
Palais de la Mutualité, samedi soir, au meeting des PTT, on a l’impression très nette que la partie est gagnée. Certes, ce n’est pas la grande foule, mais il faut tenir compte que de nombreux groupes se sont réunis dans la journée. Les nouvelles sont bonnes ; des conversations qui s’échangent entre militants dos différents services, je déduis que la corporation donnera à 70 %. Il nous reste encore une journée à vérifier l’efficacité des dispositions prises partout : piquets de grève, etc.
L’enseignement d’une expérience
Indiquons ici qu’un des principaux obstacles à une bonne préparation à la grève que les postiers parisiens confédérés ont eu à vaincre, ce fut leur mauvaise organisation. On y a paré par des initiatives assez heureuses, par des improvisations, par des moyens de fortune. Mais il faut que l’expérience nous serve ; il faut mettre debout des organisations syndicales parisiennes et une section de la Fédération postale qui fonctionnent normalement et qui reproduisent, sur le plan régional, les organisations centrales.
Il est tout de même navrant de constater que très souvent dans un même bureau, dans un même service, les secrétaires des différentes organisations confédérées s’ignorent à peu près complètement, mènent leur action propre sans aucune liaison entre eux. Il serait bon que les militants parisiens, dans une même catégorie et en dehors des catégories, se connaissent mieux et se rencontrent fréquemment. On peut bien dire que l’incontestable dynamisme de la FPU (Fédération postale unitaire) parisienne, malgré son effectif réduit, vient presque uniquement de la cohésion de son cadre militant et de liens solidement établis par des contacts multipliés.
Dimanche minuit…
Dès le dimanche soir, après, un nouveau meeting, les militants qui appartiennent à des centraux téléphoniques, télégraphiques et postaux où s’effectue un travail de nuit rejoignent leur poste de combat. Minuit. Un ordre est jeté dans le central télégraphique de la bourse : grève générale ! Et c’est la sortie des agents, dans l’ordre et dans le calme, au nez et à la barbe de dix gardiens de la paix. Sur un effectif de plus de vingt camarades, un seul flaougnard. Ça marche !
Dès six heures du matin, les copains arrivent en nombre, piquets dans toutes les rues adjacentes. La police monte la garde tout autour du bureau. À sept heures, deux de nos camarades sont emmenés menottes aux poings. Huit heures, plus de doute, c’est la victoire. Des copains font la liaison à vélo avec les autres centres. Nous disposons de deux autos et nous aidons à la fermeture d’autres bureaux. L’une de ces voitures restera même aux mains des policiers avec son conducteur, notre camarade Mouseau, que les lecteurs de la Révolution prolétarienne connaissent bien.
Au fur et à mesure que les renseignements nous parviennent, notre victoire se précise. Après la dernière prise de service de midi, le doute n’est plus permis. Nous pouvons établir notre bilan dans la joie générale. Deux cent dix camarades sont arrêtés, dont notre camarade Mathé, coffré depuis sept heures du matin, quelques blessés dans les bagarres. Qu’importe, puisque les postiers parisiens, à plus de 90 %, ont suivi le mot d’ordre de grève générale de la CGT !
Les résultats de Paris
Donnons, d’après PTT, la physionomie générale du mouvement à Paris.
Central télégraphique. — Ordre de grève suivi unanimement. Les piquets de grève constitués par des camarades de toutes les organisations ont, depuis 6 heures du matin, condamné toutes les issues. Toute la journée, un millier d’employés se sont maintenus en permanence dans la grande cour du Central. À minuit seulement, après une dernière Internationale, les camarades se sont séparés.
Recette principale. — Dès minuit, tout travail est arrêté. Les bennes et le service pneumatique ne fonctionnent plus. À 5 heures, le hall est complètement occupé par les grévistes qui fraternisent avec les fantassins de la compagnie du service d’ordre.
Les guichets, où aucun agent ne s’est présenté, ont dû être fermés et aucune opération n’a été effectuée dans le grand établissement de la rue du Louvre.
Interurbain. — Une organisation minutieuse avait été prévue par les militants et militantes des organisations confédérées et unitaires, en accord complet avec les vérificateurs adhérents au Syndicat des techniciens. Aussi, le succès du mouvement fut complet : personne n’a franchi les portes de l’Inter, de 6 heures du matin à minuit.
Nous devons signaler le courage des camarades des piquets de grève, tant extérieurs qu’intérieurs, qui ont assuré, sans lassitude, pendant 18 heures consécutives, l’exécution des décisions confédérales. Aucun incident ne s’est produit avec la troupe cantonnée à l’intérieur. Au contraire, nos camarades ravitaillèrent abondamment en cigarettes, boissons, sandwiches, etc., les braves petits soldats, qui auraient bien voulu que la grève générale se prolongeât.
Ambulants. — Les ambulants ont répondu de façon magnifique à l’ordre de grève. Dans tous les bureaux-gares, les services de tri ont été arrêtés. Au transbordement, le chômage a été total. Les bureaux ambulants sont partis à vide de personnel et de courrier. Quelques très rares « flaougnards » ont cependant tenu à faire le voyage.
À noter quelques incidents à l’Est, au Sud-Ouest et à l’Ouest, dus au manque de sang-froid de tel directeur ou de tel inspecteur, et dont seul le calme de nos camarades a permis de limiter l’importance.
Bourse (Paris-98). — Dans ce 2e central télégraphique, tandis que la police montait devant les portes du bureau une garde vigilante et complètement inutile, puisqu’aucun agent ne s’y est présenté, les dispositions prises par nos collègues se sont révélées efficaces et ont déjoué les précautions administratives.
Centraux d’arrondissement, bureaux mixtes. — Devant l’absence quasi-totale de tout personnel, là grande majorité des receveurs s’est résignée à baisser les rideaux et à fermer les bureaux. En ce qui concerne la distribution postale, aucune n’a eu lieu, la grève ayant obtenu l’adhésion unanime des facteurs. Quelques tentatives suprêmes de faire servir les guichets par du personnel auxiliaire se sont montrées sans aucun effet.
Dans la banlieue. — Nous recevons la confirmation que l’ordre de grève a été suivi dans l’immense majorité des communes de banlieue. Toutes les catégories (receveurs, commis, facteurs, ouvriers) ont démontré leur accord avec la Fédération et la GGT.
Centraux téléphoniques. — Nos consignes de grève excluaient tout ce qui aurait pu être interprété par la presse hostile comme un acte de sabotage. En conséquence, le téléphone automatique a fonctionné ; à ceux qui pourraient croire que la grève n’a pas été effective dans les centraux, nous pouvons répondre qu’au contraire, les vérificateurs, les monteurs, les téléphonistes, ont participé avec ensemble au mouvement.
Services administratifs. — Un réveil très sérieux de l’esprit syndical s’est manifesté dans cette branche, que nous enregistrons avec plaisir. C’est une indication précieuse pour l’avenir.
Services techniques. — L’action de nos camarades ouvriers peut se résumer comme à l’habitude, en quelques mots : discipline parfaite, application stricte du mot d’ordre de grève. Partout, ils se sont mis à la disposition des militants des autres catégories pour participer à l’organisation des piquets de grève. o
Tract distribué le 6 février au soir par la Ligue communiste
Travailleurs,
La réaction descend aujourd’hui dans la rue. Elle veut devenir maîtresse de Paris. Elle se prépare au coup d’État pour abolir toutes les conquêtes arrachées par la lutte ouvrière. Elle veut nous réduire au sort des ouvriers allemands.
Pour écraser la vermine réactionnaire, pour barrer la route au fascisme, il faut que se constitue sans tarder l’Alliance ouvrière de toutes les organisations ouvrières (partis, syndicats, etc.) qui, pour entraîner tous les travailleurs sans distinction de nationalité contre le danger commun, s’entendront,
• pour défendre leurs assemblées, leurs locaux, leurs journaux, leurs militants, les exploités étrangers contre les bandes xénophobes,
• pour créer des milices ouvrières et coordonner leur action. À bas la réaction et le fascisme !
Vive l’Alliance ouvrière ! Vivent les milices ouvrières !