Publié le Dimanche 23 octobre 2022 à 21h44.

Maurice Rajsfus, 75 années de vie militante en héritage

Le décès de Maurice Rajsfus a laissé une quantité très importante de livres, documents, archives ou notes, dont son fils Marc Plocki nous présente un état des lieux et les enjeux.

Les rééditions

Entre 1980 – parution de son premier livre, Des juifs dans la collaboration / L’UGIF 1941-1944 – et 2014 – ultime numéro du bulletin Que fait la police ? et sortie de son dernier ouvrage, Sommes-nous tous des individus ? – Maurice a fait paraître près de 60 titres, presque tous introuvables en librairie au moment de sa disparition le 13 juin 2020.

Il y aura aussi plus de 200 numéros du bulletin Que fait la police ? et d’innombrables chroniques et/ou tribunes libres qui furent parfois acceptées dans Rouge, Le Monde libertaire, Libération et plus rarement Le Monde.

La question posée était la suivante : comment « gérer » cette production écrite hors norme et rendre de nouveau disponibles, pour de nouvelles générations, les livres à la fois les plus significatifs et cet ensemble d’écrits foisonnants dont la plupart des questionnements et des analyses n’ont pas perdu une once de leur pertinence, voire de leur actualité ?

Entre ce qui devait relever d’une volonté éditoriale classique, sous une forme papier, et la mise à disposition de nombreux autres textes, sous une forme numérique, la réflexion nous a pas mal occupés et elle se poursuit encore maintenant, alors que la décision a été prise, dès l’automne 2020, de créer une collection avec la complicité des Éditions du Détour1.

Ce sont en premier lieu les grandes études historiques sur des sujets dont Maurice a souvent été le pionnier qui ont fait l’objet des premières rééditions.

• Au printemps 2021 : Des Juifs dans la collaboration (avec la reprise de la préface de Pierre Vidal-Naquet), La police de Vichy (avec une préface inédite d’Arié Alimi), La rafle du Vél d’Hiv et 1953 : un 14 juillet sanglant (avec une préface inédite de Ludivine Bantigny et la reprise de la postface de Jean-Luc Einaudi).

• Au printemps 2022 : Drancy, un camp de concentration très ordinaire, Opération étoile jaune, Paris 1942. Chroniques d’un survivant et L’An prochain la révolution. Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne (1930-1945) (avec une préface inédite d’Olivier Besancenot).

Pour le printemps 2023, sont en chantier les rééditions suivantes : Quand j’étais juif (avec une préface inédite d’Alain Brossat), Une enfance laïque et républicaine (avec une préface inédite de Gérard Delteil) et le second tome des Juifs dans la collaboration qui concerne le travail agricole dans la zone réservée des Ardennes, dont le nouveau titre n’est pas encore complet.

Pour 2024, le programme des rééditions n’est pas encore arrêté. Il est déjà prévu, cependant, la sortie d’une biographie de Maurice, sous la plume de Ludivine Bantigny.

Au-delà des questions de droits qu’il a fallu démêler avec plusieurs éditeurs, il ne nous a pas semblé opportun de rééditer, par exemple, dans cette collection papier, tous les titres concernant la question palestinienne, en raison de l’ancienneté de ces titres (milieu et fin des années 1980). Une mise à disposition de ces écrits sur la question coloniale au Proche-Orient sous une forme numérique pourra être envisagée par la suite et intéresser celles et ceux qui travaillent sur l’évolution du conflit israélo-palestinien.

Autre sujet d’importance : les écrits sur la police. Ce sont une quinzaine d’ouvrages, avec des approches assez diverses et des droits éditoriaux multiples. Nous réfléchissons, pour l’horizon 2024, à la possibilité de publier une anthologie en un ou deux volumes d’une dizaine de ces titres, parmi les plus marquants et les plus actuels dans leurs réflexions et analyses. Il s’agit tout de même d’une somme d’environ trois millions de signes ! Une réédition avec un appareil critique et plusieurs textes d’intervenantEs travaillant sur les violences policières et le rôle dévolu aux forces de police dans notre pays de France inventeur des Droits de l’Homme et du citoyen, accompagnerait cette édition. Cela pourrait éventuellement se faire sous la forme d’une souscription, en raison des coûts importants de ce projet.

Tous les autres titres, comme par exemple La Police hors-la-loi. Des milliers de bavures sans ordonnance depuis 1968 ou encore Mai 68. Sous les pavés, la répression et d’autres écrits seront rendus disponibles au format numérique et consultables à partir des sites de l’association des amiEs de Maurice Rajsfus et des éditions du Détour.

Il est également important de noter que tous les droits d’auteur de Maurice, que ce soit dans le cadre de ces rééditions ou pour toute autre occurrence éditoriale ou forme d’exploitation, sont désormais intégralement versés à l’association qui porte son nom.

Les archives

Dès le mois de juin 2020, la mise à l’abri des très nombreuses archives constituées par Maurice, puis la possibilité pour tout à chacunE de les consulter, a fait l’objet d’un rapprochement avec La Contemporaine (ex BDIC) à Nanterre. Le fameux fichier des violences et dérives policières (qui ne contient d’ailleurs pas que cela), patiemment constitué jour après jour, de la rentrée 1968 jusqu’en 2014, à partir de coupures de presse, a été le premier à rejoindre les réserves de La Contemporaine, dès les premiers jours de juillet 2020. Ce sont 70 boîtes en bois pour la plupart, contenant environ 27 000 fiches « Bristol ». Il a fallu ensuite, dans l’appartement de Cachan, au gré des confinements Covid et des disponibilités des uns et des autres, trier durant de longs mois et pré-inventorier, dans différentes catégories, tous les papiers, correspondance, enregistrements, photographies ou encore affiches, poèmes et dessins laissés par Maurice. L’inventaire de ces archives est désormais disponible sur Calame2.

Les archives de La Contemporaine n’ont pas tout retenu et des collections de journaux, autour de Mai 68 et après (Action, Cahiers de Mai, La Cause du Peuple et Combat, entre autres) ainsi que d’autres archives en lien avec la Commune de Paris 1871 ont été déposées au Musée de l’Histoire Vivante, à Montreuil.

Enfin, quelques pièces d’archives et objets, en lien avec l’activité de Maurice au sein du mouvement trotskiste, à la fin des années 1940, ainsi qu’une collection du périodique Ras l’Front ont été confiés à RaDAR (Rassembler, diffuser les archives de révolutionnaires).

Les archives sonores sont également nombreuses. Un long travail de repérage et d’indexation des interventions de Maurice sur Radio Libertaire et Fréquence Paris Plurielle est en cours.

Cela représente des dizaines et des dizaines d’heures qui seront, à terme, disponibles en podcast à partir du site de l’association. D’autres interventions sur France-Inter, France-Culture ou d’autres radios seront également inventoriées, avec renvoi vers les podcasts des médias concernés.

Des entretiens, réalisés par Maurice pour les travaux préparatoires à plusieurs de ses livres, ont également été versés sous forme de cassettes audio à La Contemporaine. Après numérisation et indexation, il sera possible d’y accéder pour la plupart, sur demande.

La bibliothèque

Personne dans la famille ni parmi les proches n’était en mesure de reprendre la bibliothèque de Maurice. Ce qui est hélas souvent le cas pour les importantes bibliothèques issues d’une longue vie militante. Pour autant, nous ne pouvions nous résoudre à ce qu’elle soit dispersée en raison de la nature particulière de cet ensemble. Près de 5 000 volumes patiemment réunis au gré de ses centres d’intérêt, de sa vie militante mais aussi et surtout de sa pratique d’historien de la répression et de chercheur, à partir de la fin des années 1970.

Après une année de recherches et de démarches, la bibliothèque a été confiée en juin 2021 au CEDRATS3, à Lyon, centre de recherche libertaire sur les mouvements sociaux.

Une nouvelle vie s’ouvre pour cet ensemble avec un usage désormais collectif, à l’attention de toutes celles et tous ceux qui s’intéressent aux nombreuses thématiques à leur disposition : histoire du mouvement ouvrier et du socialisme, révolution russe, stalinisme, fascisme et nazisme, question juive et judéocide, question palestinienne et colonialisme, police et droits humains… et bien d’autres choses encore.

L’association des ami·Es de Maurice Rajsfus

Créée au printemps 2021 à l’initiative de l’équipe de Radio Fréquence Paris Plurielle (dont Maurice était le président d’honneur), des éditions Libertalia et des proches, l’Association des AmiEs de Maurice Rajsfus s’est donnée pour objectif de « défendre de façon vivante la mémoire, les combats et les travaux de Maurice Rajsfus » (Article 2 des statuts). L’association s’est donc retrouvée, dès sa création,

coéditrice de la collection des rééditions décidées avec les éditions du Détour.

L’association s’est tout naturellement inscrite dans la mobilisation importante qui s’est déroulée en 2021, pour marquer les 60 ans du massacre d’État du 17 octobre 1961. En se joignant au collectif d’appel à la manifestation du 17 octobre 2021, mais également en organisant à l’automne deux réunions publiques précédées par la projection des films Octobre à Paris, de Jacques Panigel et 17 octobre 1961, dissimulation d’un massacre, de Daniel Kupferstein. Toujours sur ce registre des violences et dérives policières, l’association a vocation à soutenir les initiatives d’autres associations comme « Vies volées » et contribuer à faire connaître leurs combats.

L’association s’est également jointe, cette année, à plusieurs initiatives autour des 80 ans de l’obligation du port de l’étoile jaune et de la rafle dite du Vél’ d’Hiv, des 16 et 17 juillet 1942.

En 2023, l’association des amiEs de Maurice Rajsfus se joindra aux manifestations et rassemblements prévus pour que ne s’efface pas le crime d’État du 14 juillet 1953, quand la police parisienne ouvrit le feu sur un imposant cortège algérien du MTLD4 réclamant l’indépendance, assassinant froidement six Algériens et un syndicaliste CGT de la métallurgie parisienne5.

Il en ira de même pour toutes les initiatives qui pourraient se développer à l’avenir pour contrer le danger fasciste qui nous menace.

L’association s’est dotée d’un site internet6 qui relaie les informations, donne accès à des témoignages, des films ainsi qu’à l’intégralité du bulletin Que fait la police ?. On retrouve également dans ce site la bibliographie de tous les titres de Maurice et la biographie éditée par le Maitron (Dictionnaire biographique de mouvement ouvrier et du mouvement social).