La tuerie de la mine de platine de Marikana restera dans l’histoire comme l’un des épisodes les plus sanglants de la guerre de classes.Le 16 août dernier, le massacre de la mine de platine de Marikana a fait 34 morts et des dizaines de blessés, de mineurs incarcérés. Comble de l’abjection : à l’issue du massacre, 270 grévistes ont été inculpés pour le meurtre de leurs collègues, en vertu d’une loi datant du régime de l’Apartheid. Face aux innombrables réactions, cette inculpation a été levée le 2 septembre. En revanche, aucun policier ne semble avoir été inquiété jusqu’ici...
Jusqu’en 2011, le groupe britannique Lonmin, propriétaire de la mine de Marikana a engrangé des profits records, à la suite du boom des matières premières consécutif au krach de 2008... Cela ne l’empêche pas d’employer ses personnels dans des conditions invraisemblables. Un rapport rendu public récemment révèle que la direction de la mine était alertée depuis 2006 sur les conditions de vie et d’emploi « abjectes » des mineurs. Elle n’en a évidemment tenu aucun compte.Les mineurs employés par Lonmin sont payés une misère – environ 400 euros –, et voient leur pouvoir d’achat grignoté par l’inflation. Ils passent pourtant 8 à 9 heures par jour sous terre, six jours sur sept... Ces conditions de vie et de travail sont de l’esclavage moderne. Ils sont logés dans des bidonvilles sans électricité, où 30 foyers se partagent un seul point d’eau et un seul sanitaire... Les maladies professionnelles sont légion, notamment la tuberculose...La grève a donc démarré le 10 août parmi les 3 000 mineurs, pour des augmentations de salaire. Puis le mouvement a été rejoint par le reste des 28 000 ouvriers de la mine. Mais Lonmin a refusé net de faire la moindre concession significative.La fédération syndicale minière, la NUM (membre de la COSATU) organisait traditionnellement la masse des mineurs sud-africains. Mais elle paie au prix fort son soutien au gouvernement et sa collusion avec les patrons, et est actuellement en plein recul.Un autre syndicat, l’ACMU, réputé plus combatif, se développe actuellement. Il accuse d’ailleurs la NUM de « partager le même lit que la direction ». À Marikana, les deux organisations se sont opposées. La NUM a estimé le mouvement « irréaliste » alors que l’ACMU en était partie prenante. Il semble bien qu’en accord avec la direction, la bureaucratie de la NUM ait tenté de liquider la grève par la force. Avant le 16 août, il y avait déjà eu déjà une dizaine de morts selon la presse.Après le massacre, beaucoup a été dit pour masquer la responsabilité de la police du gouvernement ANC-SACP-COSATU dans cette boucherie. Mais les faits sont désormais avérés. Dans l’après-midi, la police est intervenue pour tenter de déloger les grévistes d’une colline où 3 000 d’entre eux étaient rassemblés, ce qui revenait à briser la grève. Après un simulacre de négociations, il y eut un début d’affrontements entre grévistes et police. Celle-ci a répliqué par des tirs à balle réelle.La police a tenté de faire croire qu’elle avait agi en état de légitime défense. Des vidéos montrent pourtant que les policiers ont tiré de sang-froid. On n’a d’ailleurs retrouvé que six revolvers parmi les 259 mineurs interpellés.La tuerie n’a pas fait fléchir le groupe Lonmin, qui s’est contenté de s’engager dans un simulacre de négociations avec ses partenaires de la NUM...Quant au président, il s’est borné à visiter la mine quelques jours plus tard, pour annoncer la constitution d’une commission d’enquête dont personne n’attend rien.Le bilan du gouvernement ANC-SACP-syndicatsLe massacre s’est déroulé dans un pays où le gouvernement est dit « de gauche ». Une coalition composée du parti nationaliste ANC, du PC local (SACP) et, directement, de la confédération syndicale COSATU, soutient le gouvernement actuel de Jacob Zuma.Du point de vue des travailleurs, le bilan de Zuma et de son prédécesseur de l’ANC (M’beki) est accablant : même l’évêque Desmond Tutu constate l’échec de l’ANC à réduire un tant soit peu les énormes inégalités sociales qui existent dans le pays. Une frêle bourgeoisie noire a bien profité de la transition, s’installant dans les quartiers hier réservés aux blancs du temps de l’Apartheid, sous l’égide du « Black economic empowerement ». Mais pour la masse de la population noire, bien peu de choses ont changé.Signe de ces contradictions, le principal dirigeant de l’organisation de jeunesse de l’ANC, Julius Malema, s’est récemment élevé contre la politique gouvernementale, ce qui a abouti à son exclusion. Malema se fait l’écho des aspirations de la population pauvre mais en la mêlant au soutien aux politiques les plus douteuses (telles celles de Mugabe, le dictateur du Zimbabwe). En tout cas, son incontestable popularité dans les bidonvilles est révélatrice des frustrations de la population laborieuse.
Un syndicaliste au conseil d’administration de la mine...La responsabilité de la direction de la COSATU (étroitement soumise à l’ANC) est tout aussi écrasante. Concernant la fédération minière de la COSATU, la NUM, le Monde écrivait ainsi récemment que celle-ci a « délaissé ses membres les plus vulnérables en acceptant de signer des accords d’augmentation de salaire minimale, alimentant ainsi les soupçons de proximité grandissante avec le patronat. Le fossé entre ses représentants, de plus en plus souvent des cadres moyens, et ses représentés, qui passent plus de huit heures sous terre à près de 40°C, s’est aussi considérablement élargi. »Symbole de cette « proximité grandissante » avec le patronat : la présence de Cyril Ramaphosa, l’homme fort de la NUM... au conseil d’administration de la mine Marikana !
Un mouvement de fondOn aurait pu croire que la saignée de Marikana permettrait au gouvernement de Zuma de calmer le jeu dans les mines. Bien au contraire auquel. Le 31 août, les 12 000 employés de la mine d’or KDC se sont aussi mis en grève.Visiblement un affrontement de grande ampleur se noue en Afrique du Sud entre les masses et le gouvernement.Les récents massacres mettent à l’ordre du jour la constitution d’une commission d’enquête indépendante permettant de faire toute la vérité sur ce qui s’est passé à Marikana, sur les liens qui unissent le gouvernement Zuma et les compagnies minières, la COSATU. Au-delà, ce qui est en jeu, c’est évidemment la capacité qu’auront ou pas les travailleurs sud-africains de se doter de syndicats indépendants, régénérés car débarrassés des agents patronaux, et d’un réel parti qui les représente.À suivre...Pascal Morsu