Publié le Mardi 23 décembre 2014 à 07h20.

Afrique du Sud : les luttes ouvrières bousculent la donne

En novembre 2014, le Comité central exécutif du Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu, plus grande fédération syndicale : 20 syndicats, 2,2 millions de membres) a, par 33 voix contre 24, exclu le Syndicat national des métallurgistes (Numsa), le plus important (environ 350 000 membres) et l’un des plus combatifs...

C’est une réaction à la crise entre la fédération et un de ses membres fondateurs, devenu particulièrement insupportable pour la direction depuis le dernier congrès national du Numsa en décembre 2013. À la veille d’une année électorale, celui-ci avait décidé, entre autres, d’appeler le Cosatu à rompre avec l’ANC, et annoncé qu’il ne s’acquitterait pas de sa part de cotisation du Cosatu au Parti communiste sud-africain (SACP). Il avait aussi demandé (comme d’autres) la convocation d’un congrès national extraordinaire du Cosatu, afin d’évaluer l’Alliance Tripartite (AT, composée du Cosatu, du SACP et de l’ANC qui dirige l’État sud-africain depuis 1994 (1) ).

Ruptures avec l’ANC au pouvoirPour le Numsa, comme d’ailleurs d’autres syndicats du Cosatu – huit d’entre eux ayant exprimé leur soutien au Numsa après son expulsion –, la politique de l’Alliance Tripartite sous hégémonie de l’ANC ne cesse de s’éloigner depuis 1996 de l’objectif fondamental du Cosatu : « lutter pour les droits des travailleurs en assurant la justice économique et sociale pour tous les travailleurs », et, de façon générale, de la lutte contre l’exploitation, l’oppression, les inégalités sociales et autres injustices dans la société sud-africaine.L’AT, dont le Cosatu sert plutôt de courroie de transmission dans une grande partie du monde du travail, consolide au fil des ans son adhésion au néolibéralisme, sa soumission à la volonté du capital, qu’il soit étranger ou sud-africain, blanc ou noir (2). En promouvant un capitalisme noir (Black Economic Empowerment, BEE), au nom de la stratégie de la révolution nationale démocratique, dans cette société d’un « colonialisme de type spécial » théorisée par le SACP, l’ANC est devenu un ardent défenseur des intérêts du capital. C’est ce que symbolisent ces dernières années, l’assassinat policier de 30 mineurs – avec des dizaines de blessés – à Marikana, le Plan de développement national (considéré comme plus néolibéral que les précédents), le luxe affiché du président Jacob Zuma et l’accession à la vice-présidence de l’ANC, puis – depuis cette année – de l’État sud-africain, de Cyril Ramaphosa, ancien dirigeant du syndicat des mineurs, co-fondateur du Cosatu et co-rédacteur de la constitution sud-africaine, devenu un des Noirs les plus riches du pays…

« Un mouvement uni de la majorité pauvre »Le Numsa veut que le Cosatu cesse d’être complice de cet ANC afin qu’il se tourne vers celles et ceux qui sont les victimes du capital, des millions de chômeurs (31 %, soit 4,2 millions de personnes en 1994, 37 %, soit 7,5 millions en 2014) (3) au prolétariat agricole surexploité.Pour cela, il a relancé la discussion sur la nécessité d’un grand parti prolétarien sud-africain et d’un mouvement alternatif populaire dit Front unique, mettant ainsi un terme au principe du Cosatu de ne collaborer qu’avec des mouvements sociaux en accord avec l’AT. Ainsi, malgré des intimidations anonymes (4), le week-end dernier (13-14 décembre) s’est tenue à Johannesburg l’assemblée préparatoire du Front unique, avec « 350 déléguéEs venus de l’ensemble du pays représentant une diversité de syndicats, mouvements sociaux, organisations populaires, organisations confessionnelles de base, ONG et formations anticapitalistes rassemblés pour poser la fondation d’un mouvement uni de la majorité pauvre contre le système ayant fait de l’Afrique du Sud le pays le plus inégalitaire de la terre » (5).

Jean Nanga

1 – En fait depuis 1996 car les deux premières années ont été celles d’un gouvernement d’unité nationale incluant les anciens partis de l’État d’apartheid, ainsi que l’Inkhata Freedom Party du chef zoulou (collaborateur des premiers) Mangosuthu Buthelezi.2 – En Afrique du Sud, le sens de « NoirE » dépasse la couleur de la peau. Ainsi, par exemple, les Sud-africainEs d’ascendance chinoise ont obtenu il y a quelques années d’être classés comme… « Noirs ».3 – Voir par exemple le site de la très active organisation populaire Abahlali baseMjondolo Shackdwellers’ Movement South Africa : http ://abahlali.org4 –Claude Gabriel, « Première mesures d’intimidation contre le syndicalisme indépendant et la gauche socialiste », Europe Solidaire Sans Frontières, 26 novembre 2014 : http ://www.europe-solidaire.org/spip.php ?article336455 – « Declaration of the Preparatory Assembly of the United Front », 15 décembre 2014 : http ://www.numsa.org.za/article/declaration-preparatory-assembly-of-the-united-front (disponible aussi sur le site d’ESSF)