Publié le Samedi 14 octobre 2017 à 12h01.

Après la déconvenue du 10 octobre, le mouvement national catalan saura-t-il reconstruire en urgence le rapport de force en sa faveur ?

Après la montée en tension et l'effervescence de mardi autour d'une séance du Parlament catalan qui s'annonçait politiquement explosive, les forces en présence en sont à gérer les retombées d'un pétard mouillé qui a affaibli la mobilisation catalaniste et confirmé l'Etat espagnol dans l'idée qu'il avait le rapport de force pour lui et une légitimité, accrue par le succès des manifestations unionistes, pour finir de canonner la rébellion. Le jeu de dupes dont nous parlions hier trouvera son épilogue la semaine prochaine en deux temps : lundi, le Govern a prévu de se plier à l'injonction de Madrid d'élucider si proclamation de l'indépendance il y a eu mardi. En cas de réponse affirmative, dans un ironique exercice de grande magnanimité, Rajoy accorde aux dirigeants catalans un délai supplémentaire de trois jours pour rectifier avant de lâcher sa bombe du 155. Ce double délai accordé, dans le surplomb hautain d'un pouvoir central jetant le masque du centralisme politique jusque là protégé par le théâtre d'ombres des Autonomies, signe une volonté d'humiliation participant en fait d'une véritable provocation.On pourra toujours, d'un point de vue de soutien à la lutte nationale catalane, pointer, dans cette attitude de l'Etat central, ce qui surlégitime en retour ladite lutte. Pourtant il pourrait bien être préférable de porter son attention à ce qui, dans la politique indépendantiste a fini par donner à l'adversaire un avantage qui, pour être peut-être provisoire, n'en hypothèque pas moins, ici et maintenant, la relance de cette lutte pour l'autodétermination jusqu'au bout d'un peuple... Il va de soi que le yaka n'a pas sa place dans les événements d'une exceptionnelle gravité qui se produisent en Catalogne. Mais le refus de tirer, dans le feu de l'action, le bilan d'une étape essentielle pour la libération nationale gâchée n'est pas non plus de mise. La tactique rocambolesque dessinée au Parlament d'une indépendance qui se renie dans l'instant où elle se proclame, a posé le piège actuel où le pouvoir central mène la danse : ce piège qui se referme sur Puigdemont a nom impasse, celle qui laisse le choix entre le Charybde de l'aplatissement au pied du suzerain madrilène que signifierait le déni désastreux que l'indépendance ait jamais pu être proclamée et le Scylla d'une revendication d'indépendance consacrant l'inutilité de l'avoir suspendue pour, a-t-on entendu, imposer, par une peu crédible médiation internationale, que Madrid s'assoie à la table des négociations... Pour négocier quoi au juste, dans l'état actuel du rapport de force défavorable aux catalanistes que la manoeuvre de la suspension a, au demeurant aggravé, en démobilisant, plus encore qu'il n'était fait, sa base populaire ?La seule (fausse) sortie de ce piège, par la seconde option, évitant le reniement de soi souhaité par l'ennemi, s'apparente dans l'immédiat à la fuite en avant que serait dans l'immédiat, attristante dénaturation de sa flamboyance d'il y a à peine quelques jours, la Déclaration Unilatérale d'Indépendance. Fuite en avant dont l'espoir qu'elle ne vire pas en débandade et défaite historique du mouvement national dépend de ce ceux et celles qui ont été exproprié-es de leur victoire du dimanche référendaire mais aussi de ceux et celles qui, empêché-es de voter par peur ou par indécision, étaient susceptibles de basculer dans une dynamique de transcroissance de la mobilisation populaire faisant de la rue et, qui sait, des lieux de travail, les nouveaux épicentres, dans la suite de la bataille des bureaux de votes, de la lutte. Etaient susceptibles de basculer... car évidemment rien n'était gagné d'avance face à l'hyperbolique violence policière et judiciaire exercée d'en face ! Encore aurait-il fallu envoyer le message déterminé que c'était la seule voie raisonnable, logique, message qui n'a jamais pris la consistance suffisante pour au moins poser un repère utile, dans le débat interne au mouvement, contre la volonté temporisatrice des forces conservatrices de l'indépendantisme, PDeCAT et ERC...En l'état, dans ce que nous avons appelé "la construction d'un rapport de force dans le rapport de force", la CUP s'est fendue d'une lettre ouverte au President (DOCUMENTO | La carta de la CUP a Carles Puigdemont - texte en catalan) : en faisant clairement référence à la "gent" qui est au coeur du processus de l'indépendance, contre les puissances d'argent, et en rappelant la nécessité que ladite indépendance se déploie en mobilisation sociale rompant avec les rapports économiques de domination, elle demande que soit proclamée, sans attendre une illusoire médiation internationale (Juncker pour l'UE comme António Guterres pour l'ONU ont été clairs : ils n'en seront pas), l'indépendance et la république catalane. L'ANC, mais aussi les jeunesses du PDeCAT, lui emboîtent le pas. Une nouvelle "grève civique" (couplée à une grève générale ?) est dans l'air. Mais l'ancien President, Artur Mas, a cherché immédiatement à recadrer que la rue ne détermine pas la politique :  "Ce n'est pas la CUP ni l'ANC qui président le Govern" !La vraie question est au fond là : le peuple catalan, riche de son histoire de luttes, saura-t-il surmonter les désarrois et autres scepticismes suscités par la paradoxale combinaison de la politique offensive de Madrid et de celle, offensive s'enlisant défensive et erratique, de sa direction de campagne ? Saura-t-il redéfinir les modalités de l'action à remettre sur les rails dans le sens d'une auto-organisation bridant les effets délétères que produit l'actuelle délégation de pouvoir qu'il accorde, de fait, aux Puigdemont et autres Junqueras... Il revient aux anticapitalistes d'être, dans les limites de leurs moyens, les ferments de cette nécessaire recombinaison du rapport de force interne. Les actions à venir devraient permettre de vérifier l'influence que ces anticapitalistes ont et pourraient développer, malgré les obstacles, à travers les structures de base que sont les Comités de Défense du Référendum et dans l'ANC et l'Omnium, pour peser sur les choix stratégiques et tactiques de l'indépendantisme. En guise de conclusion : la fierté catalane, ingrédient décisif de l'affirmation de soi, dont il a été démontré qu'elle n'était pas exclusive de l'autre que soi, relèvera-t-elle le défi de la "fierté d'être espagnol" que la parade militaire, policière et politique du 12 octobre lui a jeté à la figure ?Billet modifié ce 14 octobre. 

Antoine Rabadan