Publié le Vendredi 19 septembre 2014 à 08h00.

Argentine. Lear : quand la répression ouvre une crise au sein de l’État

Depuis plusieurs jours, on l’appelle le gendarme « carancho ». Certains se souviendront du film du même nom sorti sur les écrans français il y a quelques années. Pour les autres, on rappellera que le « carancho » est un oiseau charognard se nourrissant principalement de cadavres d’animaux percutés sur les routes de la Pampa, et dont le nom a été repris pour désigner les avocats qui tirent profit de manière frauduleuse d’accidents de la route, allant jusqu’à monter ceux-ci de toutes pièces...

Début juillet, lors d’une journée d’action des travailleurs de Lear contre les licenciements, le traditionnel blocage de l’autoroute Panaméricaine avait été remplacé par une « opération escargot ». La gendarmerie, chargé d’empêcher le blocage, s’est trouvée désorientée face à une méthode de lutte inédite en Argentine. Face à des voitures roulant à 5 km / h, un gendarme s’est jeté sur une voiture pour faire semblant d’avoir été renversé et inculper le conducteur.Pas de bol, plusieurs semaines après, une vidéo du « plongeon » du gendarme a fait le tour des médias. Sur cette même vidéo, on voit aussi Roberto Galeano, préalablement infiltré dans les manifestations. Cet ancien militaire avait été mis à la retraite il y a quelques années, mais son ami Sergio Berni, secrétaire d’État à la sécurité, l’avait réembauché en tant que « coordonnateur d’opérations »...

Crise pour le gouvernement et l’appareil répressifLe gouvernement Kirchner, dont une des forces venait de la cooptation d’une partie des mouvements sociaux, s’est souvent vanté de son caractère peu répressif. Mais à mesure que la crise économique rongeait ses bases de stabilité, celui-ci a entamé un virage à droite. La désignation de Berni (sorte de Sarkozy local) en tant que secrétaire d’État, puis sa transformation de fait en porte-parole du gouvernement, en étaient des signes forts. Mais la politique de répression des travailleurs de Lear, en lutte depuis plus de 100 jours, a commencé à générer un véritable mal-être au sein du gouvernement, en particulier de son « aile gauche ».Très vite, une réunion d’urgence des plus hauts sommets de la gendarmerie s’est tenue. Après avoir défendu le gendarme « carancho » et menti ouvertement, Berni a fini par reconnaître que le gendarme s’était effectivement jeté sur la voiture. Tout en défendant Berni, le gouvernement a licencié Galeano pour lâcher du lest et tenter d’éviter la chute de Berni lui-même, ce qui, au vu des répercussions de cette affaire, n’est pas à exclure.

La victoire redevient possible !Tout cela intervient dans un moment difficile de la lutte. Après la réintégration d’une partie des licenciés, il en restait encore 60, dont une bonne partie de l’avant-garde de la boîte. Le très mafieux syndicat du secteur automobile avait organisé une « AG » pour voter la destitution du syndicat de boîte dirigé par une équipe combative.La direction de la boîte a dû tout de même réintégrer les délégués, qui avaient un statut de salariés protégés, mais les gros bras du syndicat de branche les harcelaient en permanence, jusqu’à les gazer dans l’enceinte de l’usine et à construire une sorte de « cage » à l’intérieur de laquelle ils devaient travailler, sans aucune possibilité de contact avec leurs collègues...Cette affaire a changé la donne et une victoire redevient possible ! La lutte des ouvriers de Lear, avec celle de Donnelley (industrie graphique, occupée et autogérée par ses travailleurs depuis début août) est devenue un symbole de résistance contre les effets de la crise. L’extrême gauche, à travers le PTS, y joue un rôle central. Plus que jamais, c’est le moment d’élargir les soutiens, en Argentine et dans le monde. Des syndicalistes de Lear-France ont fait part de leur solidarité et un rassemblement devant le siège du groupe pourrait avoir lieu ces prochains jours.

Daniela Cobet et Martin Noda