Accusé de viol, puis de troubles à l’ordre public, l’opposant Ousmane Sonko a été arrêté provoquant de violentes manifestations. S’il a été depuis libéré, cette affaire révèle toute à la fois une profonde crise sociale et une dérive autoritaire du pouvoir.
Le 3 février, une plainte pour viol est déposée par une jeune masseuse, Adji Sarr, contre le député Sonko, un des principaux opposants au président Macky Sall. Après un vote majoritaire autorisant la levée de son immunité parlementaire, Sonko se rend à la convocation du juge le 3 mars, accompagné par des milliers de manifestantEs. Des violences éclatent et il est accusé de trouble à l’ordre public et incarcéré. Cette garde à vue va provoquer des manifestations continues et violentes à travers tout le pays.
Surfer sur la crise sociale
Ousmane Sonko occupe une place particulière dans l’échiquier politique avec son organisation PASTEF (Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité́). Son credo politique se décline sur trois thèmes : la lutte contre la corruption, un discours anti-français et une forte religiosité. C’est d’ailleurs ce qui le rend extrêmement populaire parmi la jeunesse, qui partage ces préoccupations. Radié de la fonction publique pour avoir dénoncé la corruption, il soigne son image de probité. Chaque meeting est pour lui l’occasion de dénoncer le pillage du Sénégal par la France et il ne manque aucune occasion pour montrer son attachement à l’islam. Ce type de profil politique anti-système et contre les élites corrompues se retrouve au Mali avec l’imam Dicko, ou en Ouganda avec Bobi Wine, et rencontre une grande résonance dans la jeunesse.
Si le Covid-19 a heureusement pour l’instant frappé moins fort l’Afrique de l’Ouest, les conséquences sociales et économiques sont désastreuses dans un pays où 47 % de la population est sous le seuil de pauvreté. La mise en place d’un couvre-feu a restreint l’économie informelle qui reste le seul moyen de survivre pour les plus précaires. Une grande partie de la jeunesse est désœuvrée, qui ne voit d’autre horizon que de rallier l’Europe via l’archipel des Canaries dans des conditions les plus périlleuses, ou de venir renforcer les courants religieux extrémistes. Pour cette jeunesse, Ousmane Sonko est devenu un porte-parole, et elle voit dans les récents évènements une machination ourdie par le gouvernement. D’autant que les deux adversaires les plus sérieux de Macky Sall, Karim Wade et le maire de Dakar Khalifa Sall ont été, ces dernières années, mis hors course du fait d’inculpations. Dans cette affaire d’accusation de viol, la jeune femme Adji Sarr affirme que Sonko l’aurait contrainte à des rapports sexuels répétés, ce que réfute le député qui justifie sa présence dans le salon de massage par des problèmes de dos. Et les droits des femmes sont les grands perdants : les féministes qui mettent en doute la parole de Sonko sont menacées, tandis que le gouvernement tente d’instrumentaliser la parole des femmes.
Répression tous azimuts
La célérité de la justice est en tout cas à géométrie variable. En effet, quand il y a un faisceau de preuves pour corruption contre Aliou Sall le frère du président, celui-ci non seulement n’est nullement inquiété, mais il se voit même proposer le poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.
La dérive autoritaire de Macky Sall a de quoi inquiéter. Lors des manifestations, il n’a pas hésité à utiliser les blindés contre la foule. Son ministre de l’Intérieur traite les manifestants de terroristes, le gouvernement a suspendu deux chaines de télévision pour avoir diffusé des vidéos des manifestations, et a coupé internet à plusieurs reprises. Enfin la dizaine de morts et les centaines d’arrestations témoignent de la violence de la répression.
Avant même l’affaire Sonko, des membres de l’organisation PASTEF ont été écroués. Idem pour les militantEs anti-impérialistes radicaux qui critiquent le pillage du pays par la France avec la complicité des autorités. L’idée était de faire taire toute contestation des relations de domination de la France envers le Sénégal.
Cette mobilisation exceptionnelle montre le ras-le-bol d’une jeunesse sans avenir, victime d’une dégradation de ses conditions de vie. La réponse passe par une transformation sociale en profondeur du pays qui est absente de l’agenda d’Ousmane Sonko au vu du programme de son parti.