Publié le Mercredi 23 février 2022 à 10h46.

Barkhane : cachez cette déroute que je ne saurais voir

Après neuf années de présence militaire française au Mali, Macron a annoncé le 17 février la fin de l’opération Barkhane et de la task-force européenne Takuba. Les milliards d’euros engloutis (le coût de Barkhane s’élève à 600 millions d’euros par an) n’auront pas réussi à empêcher un échec cinglant, quoi qu’en disent les autorités françaises.

Le départ devrait s’étaler sur plusieurs mois. Il sera rendu difficile par les conditions météo. En période d’hivernage, les fortes pluies rendent les routes difficilement praticables. D’autant que la sécurisation des transferts est source d’inquiétude pour l’état-major, et de conflit avec les autorités maliennes.

La fin de l’opération Barkhane rend plus problématiques les deux autres missions militaires : la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) et la Force conjointe du G5 Sahel. En effet ces deux structures bénéficiaient de la couverture aérienne de la France, ainsi que du partage de renseignements. Le devenir de l’EUTM (European Union Training Mission) en charge de la formation des militaires maliens se pose également.

Repositionnement de l’armée française en Afrique

Dans sa déclaration, Macron considère que « les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies » pour la pérennité de la mission Barkhane et remet en cause la légitimité du gouvernement malien issu d’un putsch. Il oublie que l’intervention militaire française a été sollicitée en 2013 par le gouvernement de Dioncounda Traoré, issu lui aussi d’un coup d’État1. Pour l’Élysée, le départ du Mali n’équivaut pas à l’arrêt de la lutte antiterroriste, même si le devenir du dispositif militaire au Sahel est en suspens. Où stationner les militaires français ? Le Mali n’en veut plus, le Burkina Faso n’en a jamais voulu et le président Bazoum au Niger en voudrait bien mais se heurte à l’hostilité d’une grande partie des NigérienEs. Tout le monde a en mémoire l’épisode du convoi des militaires français bloqué par la population.

L’idée est donc de déplacer les lieux d’intervention vers le sud. La nouvelle doxa des autorités françaises est le soutien militaire aux pays du golfe de Guinée, c’est-à-dire la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin et le Togo, menacés par l’expansion du terrorisme sahélien, preuve s’il en est de la défaite de Barkhane.

Les déboires africains de Macron

Le départ des troupes françaises du Mali, c’est d’abord l’échec de la politique de la France en Afrique sur plusieurs plans. Politique, avec l’arrogance de Macron, qui se permet de convoquer les chefs d’État africains à Pau, comme on convoquerait des sous-préfets, pour qu’ils renouvellent leur allégeance à la France. Mais aussi avec l’organisation du sommet Afrique-France à Montpellier censé définir de nouvelles relations alors qu’aucun officiel africain n’a été invité. Diplomatique, on songe évidemment aux déclarations de Le Drian à l’encontre du nouveau pouvoir malien ; mais surtout, le Quai d’Orsay s’est obstiné à défendre Ibrahim Boubacar Keïta, le président renversé, pourtant dénigré par des mobilisations populaires qui se sont déroulées durant de nombreux mois. Militaire enfin, avec la certitude que l’opération Serval, qui a précédé Barkhane, avait anéanti les groupes jihadistes, alors qu’elle les avait seulement éparpillés sur l’ensemble de la région sahélienne.

L’échec de Barkhane doit être aussi une occasion pour les forces politiques de gauche de tirer les leçons de leur vote et de leur soutien à l’Assemble nationale pour cette intervention militaire au Mali.

Quelle politique malienne ?

Le départ des troupes françaises permet aux autorités maliennes d’être plus libres dans leur façon de gérer la crise. Elles peuvent décider de continuer à traiter les problèmes comme par le passé, par la voie militaire, avec l’aide des mercenaires de Wagner. Alors il faudra s’attendre à plus de brutalité contre les civils comme on peut le voir avec les exactions en République centrafricaine. Le Mali s’enfoncera dans une spirale de violence et de déchirements intercommunautaires. L’autre option est de prendre à bras-le-corps les différents problèmes sociaux et économiques des populations sur lesquels se greffent les groupes armés. Cela implique un repositionnement de l’État, l’abandon de l’impunité, une gouvernance qui rompt avec la corruption et une volonté de relance des services publics réellement au service des populations, comme la justice, la santé et l’éducation. Cela implique aussi des négociations décentralisées avec les différents groupes armés, qu’ils soient jihadistes ou non, pour créer un modus vivendi entre les communautés, réhabiliter ou créer des médiations pour résoudre les litiges. C’est une voie difficile qui doit être prise avec les différentes structures qui ­représentent les populations.

  • 1. Voir hebdo Tout est à nous ! n° 178 du 17 janvier 2013.