Nous publions un texte de Frédéric Malvaud, ornithologue et naturaliste, au sujet d’un désastre écologique en cours en Bulgarie.
Je connaissais de réputation les gorges de Kresna, situées dans le sud-ouest de la Bulgarie dont le site, dans la vallée de la Struma, à la frontière de la Grèce, est remarquable. Cette vallée est l’unique voie de passage du monde « méditerranéen » vers les montagnes des Balkans. Microclimat chaud, mélanges d’influences, milieux préservés (jusqu’à maintenant), c’est le « cocktail » pour une biodiversité d’exception. Lorsque, lors d’un voyage d’études au printemps 2018, je me suis rendu dans la vallée, je rêvais des derniers vautours fauves des Balkans, de la profusion des papillons (122 espèces dénombrées sur un kilomètre carré de la vallée, quand le Royaume-Uni n’en compte que 59 !).
3 500 espèces de faune et de floreLe zoologiste bulgare Boyan Petrov indique que 3 500 espèces de faune et de flore existent ici. On y trouve ainsi de nombreuses espèces de reptiles uniques dans les Balkans, comme le lézard égéen ou la couleuvre léopard, entre des habitats aussi divers que les bords de la rivière Struma, des collines boisées et surtout les spectaculaires gorges de Kresna, là où la vallée se resserre dans un passage étroit. On peut imaginer l’importance d’un tel lieu pour la migration des espèces, mais aussi son extrême fragilité. Après 8 jours à inventorier les oiseaux en juin dernier, j’ai pu observer en quelques jours près d’une centaine d’espèces dont le rare faucon d’Éléonore, en provenance des îles grecques, qui trouve ici son unique voie de passage vers les Balkans.
Désastre écologique en coursMais j’ai aussi constaté le début du désastre écologique. Toute la partie sud de la vallée, juste avant les gorges, est d’ores et déjà défigurée par les travaux de l’autoroute en cours de construction. Le passage de milliers de camions dans la vallée crée un bruit assourdissant et induit déjà une rupture écologique majeure. Car si les oiseaux ou mammifères sauvages ont su repérer cette voie de passage, les tenants de la mondialisation économique, de l’argent à tout prix, du tout-camion l’ont bien compris eux aussi. S’entrecroisent ici d’importants intérêts financiers. Il s’agit du dernier tronçon de l’autoroute trans-européenne reliant l’Allemagne à la Grèce. Et comme l’Union européenne n’en est pas à quelques contradictions près, elle a financé antérieurement la Bulgarie pour étudier et classer la vallée au titre de Natura 2000, pour réintroduire les vautours, et aujourd’hui elle finance (à hauteur de 673 millions d’euros) la construction de l’autoroute pour tout détruire !
Annuler les financements européensLa Commission européenne a cependant fixé des conditions : l’autoroute ne doit pas passer dans les gorges, mais par un long tunnel sous les collines environnantes, pour limiter l’impact. Mais cela augmentera le coût des investissements. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement bulgare a décidé de prendre l’argent des citoyenEs européens, mais sans construire le tunnel. Il faut dire que, derrière le gouvernement, se cache un autre acteur : la mafia. Celle-ci est prête à tout. Comme les entreprises bulgares du BTP n’ont pas la compétence pour faire le tunnel, il faudrait faire appel à des entreprises étrangères et la mafia qui contrôle le BTP bulgare verrait disparaître des profits colossaux. Prête à tout ? On peut en effet s’interroger sur le fait que le zoologiste Boyan Petrov ait été « happé » par une voiture « incontrôlée » alors qu’il faisait une prospection floristique dans les gorges. Il a survécu par miracle à un long coma… Remettre en cause cette folle logique de transport n’est pas à notre portée immédiatement, mais limiter les dégâts dans les gorges de Kresna, oui. Il faut obliger l’Union européenne à appliquer ce qu’elle a édicté : pas un centime européen si un tunnel n’est pas construit ! Une association (wemove.eu) qui milite pour une Union européenne sociale et écologique a lancé une pétition en ligne pour faire annuler les derniers financements européens et ainsi bloquer le projet. Il est encore temps d’agir !
Frédéric Malvaud