Après avoir plus que doublé en moins d’un an, la bourse de Shanghai a chuté de 30 % en moins d’un mois.
Des fortunes virtuelles de milliardaires sont parties en fumée, c’est le côté jouissif du krach. Le 8 juillet, la cotation de la moitié des sociétés enregistrées sur le marché a été suspendue pour limiter l’effondrement (– 8 % en début de séance). Après l’explosion de la bulle immobilière en 2014, c’est au tour de la bulle financière d’éclater. Il s’agit de la manifestation d’une déconnexion entre la création de valeur dans l’économie réelle et l’emballement du crédit qui a nourri des bulles insoutenables.
Baisse du taux de profit
L’accumulation du capital ralentit fortement en Chine, en particulier dans l’industrie. Les chiffres de la croissance sont vraisemblablement truqués, incohérents avec l’annonce d’une chute en avril des exportations de 15 % et des importations de 12 % (par rapport à avril 2014). C’est la conséquence d’une baisse importante du taux de profit depuis une quinzaine d’années.
Plusieurs facteurs expliquent cette baisse de la rentabilité du capital. La croissance très rapide des investissements (bien plus rapide que le PIB) a provoqué une hausse de la composition organique du capital : c’est le mécanisme de la baisse tendancielle du taux de profit décrit par Marx comme la loi fondamentale de l’économie capitaliste. De plus, les salaires ont augmenté fortement ces dernières années, résultat des luttes ouvrières. Avec la montée en gamme de l’économie chinoise, la demande de travailleurs qualifiés a augmenté. Cela les a placé en position de force, mais ce n’est pas le cas de toute la main-d’œuvre.
Les travailleurs non qualifiés venus de la campagne n’ont bien souvent pas de permis de travail et vivent dans la misère. Les travailleurs « informels » représentent aujourd’hui environ la moitié des travailleurs (contre 18 % en 2000) et reçoivent en moyenne un salaire trois fois moins élevé que les travailleurs qui ont un permis. Le ralentissement de l’économie chinoise ne permet plus d’absorber toute la main-d’œuvre qui vient des campagnes : le chômage augmente, autour de 10-15 % en moyenne dans les villes.
À cela s’ajoute l’augmentation des taxes et l’appréciation de la monnaie qui affectent la compétitivité des entreprises en Chine.
Crise de la dette
Stimulé par les bas taux d’intérêt, l’endettement public et privé a explosé ces dernières années, augmentant bien plus vite que le PIB. Depuis 2007, la dette totale a quadruplé pour atteindre 280 % du PIB. Cette explosion de la dette a d’abord alimenté une bulle immobilière impressionnante qui a dopé le secteur de la construction. La corruption des gouvernements locaux et la quête du profit des banques y ont fortement contribué. Dès 2011, de premiers signaux d’alerte étaient visibles, avec l’apparition de villes fantômes.
L’État chinois est parvenu pour l’instant à gérer « en douceur » l’éclatement de cette bulle, qui laisse des millions de mètres carrés inoccupés. Il a ensuite incité les Chinois à jouer les boursicoteurs, en faisant de la propagande et en facilitant les prêts. Des millions de Chinois se sont rués sur les marchés financiers, alimentant une bulle qui a dopé artificiellement la croissance via un « effet richesse » incitant les ménages à la dépense.
Gouvernement dans l’impasse
L’État chinois est pris dans une contradiction inextricable. D’un côté, il doit limiter progressivement le crédit pour éviter un éclatement des bulles trop brutal et désendetter en douceur le pays. D’un autre côté, il est tenté de se lancer dans une fuite en avant pour contenir la chute de la bourse. C’est cette seconde option que le gouvernement a choisi dans l’urgence : baisse des taux, ordres donnés aux banques de prêter, aux entreprises d’État de ne pas vendre leurs actions, etc.
La bureaucratie chinoise réagit comme n’importe quel gouvernement bourgeois, avec des remèdes de court terme qui aggravent le mal à moyen terme. La Chine n’échappera pas à une crise de grande ampleur dont nous voyons aujourd’hui les prémisses.
Gaston Lefranc