Le candidat de l’extrême droite, hostile à l’accord de paix avec les FARC, Iván Duque, a emporté le 17 juin l’élection présidentielle colombienne avec 54 % des suffrages exprimés contre 42 % à Gustavo Petro, le candidat de gauche.
Si Gustavo Petro n’était pas le candidat rêvé des classes populaires, Iván Duque est un candidat réactionnaire à tout point de vue. Soutenu par les milieux d’affaires, il se revendique libéral sur le plan économique en proposant d’abaisser la fiscalité des entreprises et d’exploiter toujours davantage les ressources naturelles. Face à la crise vénézuélienne, le nouveau président colombien exprime un discours aux relents xénophobes contre les centaines de milliers de VénézuélienEs qui fuient la misère et les pénuries d’aliments et de médicaments. Il s’est d’ailleurs réuni avec l’opposante vénézuélienne la plus droitière et la plus pro-Washington, María Corina Machado.
Accord de paix fragilisé
Le sujet principal de la campagne était ailleurs, autour de l’accord de paix signé en novembre 2016 avec la guérilla des FARC. Iván Duque appartient aux secteurs de la droite qui ont toujours refusé ce texte et avait voté « non » au référendum sur son adoption. Son élection fragilise la paix. Durant la campagne présidentielle, il s’est engagé à apporter des « corrections » à l’accord, notamment de revenir sur la protection juridique des anciens guérilleros et leur présence garantie de quelques sièges dans chacune des assemblées parlementaires. Les négociations avec la dernière guérilla en activité, l’ELN, s’annoncent particulièrement difficiles.
Iván Duque doit ce positionnement très droitier à son mentor à qui il doit toute son ascension politique, l’ancien président colombien de 2002 à 2010, Álvaro Uribe. Ce dernier, lié aux paramilitaires les plus sanglants, a été impliqué en 2008 dans le scandale dit des « faux positifs », où les forces de l’ordre assassinaient des dizaines de civils innocents dans le but de les faire passer pour des guérilleros.
Le processus de paix en Colombie est fragile du fait de l’absence de fiabilité de la parole de l’État. On se souvient qu’en 1984, les FARC avaient signé des accords de paix, respecté un cessez-le-feu et créé une organisation politique légale, l’Unité patriotique. Quelques mois plus tard, plusieurs milliers de membres de l’Unité patriotique étaient assassinés par des forces « de l’ordre » et des paramilitaires. Si Iván Duque remet en cause ces accords, la possibilité de reformation d’une guérilla ou que des anciens guérilleros rejoignent l’ELN n’est pas à exclure.
Score inédit pour la gauche
La bonne nouvelle de cette élection est l’émergence du candidat de gauche, ancien guérillero, ancien maire de Bogotá, Gustavo Petro. Avec 42 % des suffrages exprimés, il rassemble huit millions de personnes. Il est en tête dans la capitale Bogotá et dans les départements de la côte Pacifique. La présence d’un candidat de gauche au second tour et récoltant un tel nombre de suffrages est un fait inédit en Colombie, que l’on peut espérer annonciateur d’une opposition puissante à la présidence d’Iván Duque.
Le programme de Gustavo Petro n’était pas de nature à mobiliser massivement les classes populaires. L’abstention a atteint 47 %. Au cours de la campagne, alors que sa présence au second tour était probable, il a tâché de se montrer présidentiable, c’est à dire de modérer son discours en s’abstenant d’attaquer les puissants, proposant un programme qui ne veut pas « appauvrir les plus riches mais d’enrichir les plus pauvres », notamment pour séduire l’électorat du candidat centriste, Sergio Fajardo, arrivé troisième à l’issue du premier tour avec 23,7 %. Il proposait notamment une timide réforme agraire, modérée mais suffisante pour générer la peur des possédants, acquis à Duque.
Les classes populaires colombiennes ont besoin d’une opposition de classe au pouvoir d’Iván Duque. La stratégie de guérilla a montré ses faiblesses et son impasse, le maintien de l’accord de paix est toutefois important et le désarmement des forces paramilitaires devrait être un objectif majeur. Au-delà de la résolution du conflit armé, la question sociale demeure centrale. La situation économique des ColombienEs est préoccupante après quatre années consécutives de récession, une pauvreté qui atteint 13 millions de personnes et une précarité au travail qui affecte 50 % de la population active, dans le second pays le plus inégalitaire d’Amérique latine.
Pedro Huarcaya