Publié le Lundi 18 mai 2020 à 12h24.

Contre l'oeil de Big Brother dans les salles de classes en Grèce !

Au concours des ministres les plus réacs du gouvernement de droite de Kyriakos Mitsotakis, la ministre de l’Education (et des Cultes) Niki Kerameos est assurément parmi les mieux placées : avec son obsession de (re)mettre les valeurs traditionnelles orthodoxes (la religion d’état) au centre de l’enseignement, son rêve est de mettre au pas les jeunes et les enseignants -dès l’été dernier, le gouvernement a supprimé l’asile universitaire, et on a pu voir depuis la police intervenir violemment dans les facs. En même temps, le projet éducatif est peu ou prou le même que celui poursuivi par Blanquer en France, avec le même mépris pour les élèves et les enseignants : « Nous ne laisserons pas des intérêts bassement politiques et syndicalistes faire obstacle à la progression de nos enfants ».

Coup double contre l’école

La période de confinement se termine, avec un bilan de l’épidémie sans rapport avec celui de France ou d’Italie, ce que Mitsotakis tente d’exploiter comme preuve de ses compétences (cf article : « Démasquer le mythe de la bonne gestion du coronavirus en Grèce »). Et depuis une semaine, le début du retour dans les salles s’effectue, avec les mêmes inquiétudes qu’en France devant les risques évidents et la même logique du pouvoir de se défausser sur la responsabilité individuelle des parents et des personnels. Au moins la démarche est-elle quelque peu plus logique : cette semaine, ce sont les élèves de Terminale qui sont retourné-e-s en salles, la semaine prochaine ce seront les autres niveaux du lycée et les collégien-ne-s. Mais la ministre a osé profiter de la période de confinement pour tenter d’imposer 2 mesures, comptant sur les difficultés à organiser une riposte. La première mesure, c’est un amendement passé en douce dans un projet de loi sans rapport (sur les fonds secrets dont pourrait disposer le ministère des migrations…) : profitant de « l’enseignement à distance », cette mesure a pour but de donner une suite légale à cette forme et institue … le placement de caméra dans la salle pour que les élèves absents puissent ne pas perdre le bénéfice de la leçon ! Evidemment, quand l’amendement a été découvert, ç’a été un tollé : contre le caractère prétendument moderne de la mesure, les enseignants dénoncent un évident contre-sens pédagogique, une aberration quant à la connaissance de ce qu’est une classe, et ils soulignent le caractère clairement fliquant de cette mesure : pas de Big Brother dans les salles de classe, c’est le mot d’ordre qui a été illico et unanimement mis en avant ! Qui plus est, Kerameos et le porte parole du gouvernement ont été pris en flagrant délit de mensonge public : ils ont fait croire que l’Autorité de Protection des Données Personnelles avait donné son accord à la mesure, ce que son président a formellement démenti ! Pas joli ce mensonge pour une défenseuse de la morale religieuse !

La colère qui a saisi la communauté éducative est d’autant plus grande que cette mesure s’ajoute à un projet de loi de « refondation » de l’école, présenté bien sûr comme visant à « améliorer » le système. Cette loi, présentée lors du confinement, vise l’ensemble de la scolarité de la maternelle à la terminale, avec entre autres mesures l’augmentation au primaire du nombre d’élèves par classe (à 26), l’apprentissage par coeur avec une logique « d’arène examinatoire » au secondaire, le principe devenant encore davantage celui du bachotage au détriment de la formation générale. L’objectif est comme en France celui de favoriser le privé - le bachotage va pousser encore plus fort les familles à payer des cours privés de préparation aux examens, qui existent dans tout le territoire - et d’opérer une plus forte sélection sociale à l’entrée de l’université, le principe régnant devant être celui de la concurrence. De plus, les établissements seraient évalués, avec risque de fermeture d’écoles jugées en dessous des critères fixés par on ne sait quel « expert »…

Cerise symbolique sur le gâteau : le rétablissement en force du latin, qui ne serait pas enseigné dans un esprit d’approche comparative linguistique et culturelle, mais plus proche de ce qu’on appelait le « latin d’église », qui doit tellement plaire à cette ministre réactionnaire. Comme l’explique au site TVXS une responsable d’OLME en Attique, « le résultat sera la création d’écoles à plusieurs vitesses, le découpage catégoriel, le lien entre évaluation et subventions, la fermeture d’écoles et l’étouffement de l’éducation de masse. »

Une mobilisation très déconfinée

Face à ce qui relève et de la provocation et d’un projet de société illustrant très bien le libéralisme an 2020, la colère s’est fait entendre avant même le début de déconfinement, avec un premier rassemblement il y a 2 semaines à Athènes. Mais mercredi 13 mai c’est dans de nombreuses villes de Grèce que de belles vraies manifs et rassemblements ont eu lieu, à l’appel des syndicats OLME (secondaire), DOE (primaire), OIELE (syndicat du privé), des parents d’élèves et des lycéen-ne-s rejoints par les étudiant-e-s. A Athènes, la manif a réuni bien plus de 5000 personnes, bien déterminées à obtenir le retrait de la loi et de la mesure Big Brother.

Un débat a été engagé sur cette mesure : en effet, si tout le monde refuse l’enregistrement filmé des cours (pour sauver sa mesure, Kerameos explique maintenant qu’il n’y aura aucun moyen d’enregistrer, que tout sera « en direct » et détruit ensuite !…), les cours à distance sont promus par certains : d’un côté, la droite, qui y voit la possibilité d’éviter des recrutements d’enseignant-e-s, de l’autre, la gauche réformiste, dans une vision scientiste très classique et peu critique. Face à cela, la mobilisation doit donc affirmer clairement : pas question d’institutionnaliser le cours à distance !

Mais à partir de là, une partie de la gauche anticapitaliste se saisit de ces positions pour dénoncer le « syndicalisme de soumission patronal et gouvernemental », comme l’écrit Prin, le journal de NAR (17 mai), mettant en cause ici un arc qui va de la droite à Syriza et au KKE (PC grec). Or, autant il est effectivement indispensable de mener une bataille intransigeante autour des revendications pédagogiques d’une école pour toutes et tous, fonctionnant autour de la notion du cours dans la classe, avec tous les moyens matériels et humains nécessaires, autant il faut prendre en compte dans cette situation

- le rôle très important des unions locales des syndicats enseignants (en particulier dans le secondaire) dans la mobilisation

- la situation paradoxale de la direction d’OLME : dirigée actuellement par le courant de la droite gouvernementale, elle est là en opposition à « son » gouvernement. C’est l’une des contradictions dont on avait dit dès l’été dernier que la politique de Mitsotakis ne manquerait pas de les faire surgir. Dès lors, la priorité doit être aujourd’hui à l’élargissement d’un mouvement qui peut obtenir un large soutien. Et devant le refus de Kerameos de céder - elle refuse même de recevoir la Fédération des parents d’élèves, qui représente 300 000 familles - les syndicats appellent à poursuivre la mobilisation la semaine prochaine, ce qui peut être l’occasion de faire le lien avec la politique « tout pour le privé » et anti-jeunes du pouvoir (des rassemblements « d’après confinement » de jeunes dans différents quartiers ont eu droit à une violente répression, comme à Kypseli, quartier populaire d’Athènes ou hier soir à Thessalonique) et de faire reculer ce gouvernement, avec retrait des mesures et si possible démission de la ministre, ce qui serait un coup bien plus dur pour la droite que le nécessaire remaniement ministériel en vue (4 ministres visés pour cause d’incompétence trop voyante) ! Organiser le « toutes et tous ensemble » - avec les précautions sanitaires indispensables ! - et obtenir une victoire, c’est aujourd’hui possible, et c’est urgent !

Athènes, le 17 mai 2020