Publié le Samedi 25 mai 2013 à 12h44.

CORÉE : L'agresseur ostensible et l'agresseur furtif

David Whitehouse * Publié dans Inprecor.

Un nouveau tournant belliqueux caractérise la situation de la péninsule coréenne et, comme d’habitude, les médias présentent une petite histoire inspirée des communiqués du Département d’État états-unien. Le message est simple : « la Corée du Nord, une fois encore, conduit la région au bord d’une guerre ».

Le dernier épisode de ce mélodrame a commencé en décembre 2012, avec le lancement réussi d’une fusée à trois étages par la Corée du Nord. Cette fusée déployait un satellite mais son lancement était aussi une preuve de la capacité de la Corée du Nord à lancer un missile balistique de longue portée.

Puis — continue la petite histoire —, en février, le régime imprévisible et guerrier a pratiqué son troisième essai nucléaire, dont la puissance était la plus importante. Pendant ce temps, le nouveau et jeune dictateur, Kim Jong Un, sans avoir été provoqué, a proféré des menaces — y compris d’une attaque nucléaire — contre la Corée du Sud et les États-Unis. Les autres pays auraient répondu de manière mesurée au comportement erratique de la Corée. Même la Chine, seule alliée de la Corée du Nord, contribue à resserrer les sanctions de l’ONU contre elle. C’est cette histoire que le gouvernement et ses sténographes médiatiques des États-Unis cherchent à promouvoir. Ce qui manque dans ce compte-rendu, c’est l’escalade des menaces militaires que l’administration Obama poursuit contre la Corée du Nord, en particulier depuis que Kim Jong Un est arrivée au pouvoir, en avril 2012.

Diaboliser la Corée du Nord est aisé du fait du caractère de son régime. Bien qu’il se revendique du socialisme, il en incarne tout le contraire : c’est une tyrannie où le pouvoir se transmet de façon dynastique et dont la grande majorité de la population survit dans une extrême pauvreté.

Mais cibler la Corée du Nord est utile au gouvernement des États-Unis, maintenant autant que dans le passé. Jamais, au moins depuis le premier mandat de George W. Bush, les États-Unis n’ont annoncé aussi clairement qu’ils visent la chute du régime nord-coréen. Kim a certainement reçu ce message. Cependant Obama est un agresseur plus furtif que Bush : il n’a pas cherché à faire partager son message à la population états-unienne.

Que préparent les États-Unis et la Corée du Sud ?

L’armée états-unienne coopère depuis longtemps avec le gouvernement sud-coréen pour préparer la guerre, elle réalise fréquemment des exercices militaires communs et déploie ses armées lourdes dans le Sud. Il y a encore quelques 28.000 soldats états-uniens stationnés en Corée du Sud et, en cas de guerre, les généraux états-uniens seraient à la tête des 500.000 soldats sud-coréens, selon un accord de longue date qui expirera en 2015. Si les États-Unis ont retiré leurs armes nucléaires de la péninsule au début des années 1990, ces dernières — ainsi que d’autres armes lourdes — restent à portée de main sur les navires, les sous-marins et les bombardiers présents au large du littoral.

Tout cela est devenu une habitude. Mais au cours de la dernière année on a pu observer de nombreux indices que quelque chose de nouveau est en cours. Les États-Unis et la Corée du Sud ont commencé à préparer une guerre offensive, c’est-à-dire d’envisager une occupation du Nord, comme le signalent Christine Hong et Hyun Lee sur le site web Foreign Policy in Focus » (1).

Selon les experts militaires, il y a plusieurs façons de mener une guerre de terrain dans le Nord.

L’une consisterait en un parachutage massif ou une opération héliportée. Une autre serait un massif débarquement. Une autre encore impliquerait de passer à travers la zone démilitarisée et minée qui sépare les deux moitiés de la Corée. Au cours de la dernière année, les forces armées états-uniennes et sud-coréennes ont fait les préparatifs des deux dernières tactiques. « En mars 2012 — écrivent Hong et Lee — les forces combinées états-uniennes et sud-coréennes ont réalisé les manœuvres de débarquement les plus importantes depuis vingt ans, impliquant 13 navires de guerre, 52 véhicules blindés amphibies, 40 avions et hélicoptères de combat et 9.000 soldats états-uniens. »

Pour traverser la zone démilitarisée et minée, les États-Unis ont transféré en Corée des véhicules résistant aux mines, construits à l’origine pour la guerre en Irak et en Afghanistan. Ce redéploiement indique quelle est la réelle signification du « tournant vers l’Asie » — selon les termes de Barack Obama, qui tente de se désengager progressivement des guerres héritées de son prédécesseur au Moyen-Orient pour en préparer de nouvelles.

L’an dernier, des simulations assistées par ordinateur d’exercices d’une invasion de la Corée du Nord ont été testées. Selon le journal sud-coréen Chosun Ilbo « Séoul et Washington ont pratiqué l’an dernier, pour la première fois, des préparatifs pour un soudain changement soudain au Nord, au cours des manœuvres “Key Resolve” [qui ont lieu depuis 2008]. C’était la première fois que les troupes sud-coréennes s’exerçaient pour se déployer au Nord. » (2)

En avril 2012, le Corée du Sud a révélé qu’elle avait mis au point un missile de croisière capable d’une attaque de précision sur n’importe quelle cible dans le Nord (3). En été, le Pentagone a annoncé le déploiement dans la région des bombes massives anti-bunker “super bunker-buster” pouvant détruire les installations nucléaires en Corée du Nord. Encore l’année dernière, le Japon a accepté l’installation d’un second radar de défense anti-missiles de conception états-unienne, alors que la Corée du Sud est en train de construire une base navale sur l’île de Jeju, pouvant accueillir les destroyers Aegis, un élément clé de la défense anti-missiles. Ce projet à consonance bénigne — défense anti-missiles — permet en réalité des opérations offensives en neutralisant l’effet dissuasif des missiles nord-coréens.

« Tournant vers l’Asie »

Obama ou la présidente sud-coréenne Park Guen Hye n’ont peut-être pas l’intention de renverser le régime de Kim Jong Un. Mais ils prennent des mesures concrètes pour s’y préparer. Les réactions de Kim indiquent qu’en tout cas il se prépare pour le pire.

Cela expliquerait pourquoi il menace de frappes nucléaires préventives. Le programme nucléaire de la Corée du Nord a commencé il y a des décennies sans doute en tant que monnaie d’échange visant à obtenir des États-Unis une aide et une garantie de sécurité, mais maintenant il semble clair que Kim Jong Un tente de l’utiliser en tant que force de dissuasion contre une agression états-unienne.

La dernière fois que la Corée du Nord a eu une attitude similaire c’était lorsque Georges W. Bush avait déclaré ce pays comme faisant partie de « l’axe du mal » en 2002. Dans la situation qui suivait l’invasion de l’Irak en 2003 le père de Kim Jong Un, Kim Jong Il, a vu les signes avant-coureurs de ce qui le menaçait et en a conclu que Bush n’a pas hésité à attaquer l’Irak parce que Saddam Hussein n’avait pas développé une force militaire de dissuasion qui soit efficace. Alors il a résolu de se dépêcher pour obtenir une telle force et la Corée du Nord a fait exploser son premier engin nucléaire en 2006.

Le conflit des États-Unis avec la Corée du Nord est passé d’un point chaud en 2002-2003 à une lente ébullition lorsque les États-Unis se sont enlisés dans les guerres en Irak et en Afghanistan. Mais le tournant d’Obama vers l’Asie a discrètement rappelé les menaces que Bush avait proclamées.

Le « Guide stratégique de la défense » (4) publié par le Pentagone en janvier 2012 peut sembler moins violent que l’arrogante « doctrine de Bush », mais il n’en partage pas moins les mêmes prémices.

L’essentiel de ce texte, c’est que les États-unis n’ont l’intention de ne tolérer aucune sorte de dissuasion contre leurs actions militaires unilatérales. Le Pentagone d’Obama est déterminé à contrecarrer toutes les tentatives des autres pays de lui « interdire l’accès » ou d’imposer une « zone interdite » parce que « les États comme la Chine ou l’Iran vont continuer à recourir à des moyens asymétriques pour contrecarrer nos capacités de projection de nos forces. » En d’autres termes l’armée états-unienne doit pouvoir aller là où le commandant en chef le décide.

La nouvelle présidente de la Corée du Sud, Park Geun Hye, est la fille de l’ex-dictateur militaire Park Chung Hee. Elle a des références en tant que farouche ennemie du Nord et elle a annoncé qu’elle n’était prête à entamer des relations avec le Nord qu’à condition que ce dernier État se désarme.

Néanmoins, parce que Park doit tenir compte de son opinion publique, elle a mélangé des termes conciliateurs avec les termes agressifs. La majorité des Coréens du Sud souhaitent éviter une confrontation avec le Nord et aspirent à une réunification pacifique du pays. Park a pris ses fonctions avec un soutien populaire inférieur à celui dont jouissaient tous ses prédécesseurs : 44 % (5). Depuis elle a nourri cette défiance populaire en faisant la promotion des amis de sa famille, très à droite et sans références politiques.

Les deux tiers de la population sud-coréenne sont favorables à l’aide humanitaire à la Corée du Nord « quelle que soit la situation politique » et plus de la moitié se déclare en faveur de pourparlers directs avec le Nord. Dans nombre de pays un politicien peut essayer de gagner la popularité en employant la rhétorique guerrière, mais dans le contexte coréen une telle tactique pourrait avoir l’effet inverse.

Si Park et Obama veulent se préparer à la guerre leur premier obstacle sera la résistance du peuple sud-coréen et non les armées de la Corée du Nord.

Attitude de la Chine

Certains commentateurs ont suggéré que la Chine était en train de reconsidérer son soutien à la Corée du Nord depuis l’entrée en fonction du nouveau président, Xi Jinping. Bien que les dirigeants chinois et ceux des États-Unis soient aux antipodes dans les domaines de la politique commerciale et monétaire, qu’ils soient en désaccord en ce qui concerne le cyber espionnage et la l’appartenance des îles au large du continent asiatique, ils semblent s’unir pour s’opposer au développement par la Corée du Nord des missiles balistiques et des armes nucléaires. Après l’essai nucléaire nord-coréen du 12 février, les diplomates chinois ont soutenu le projet états-uniens visant à renforcer les sanctions des Nations Unies pour punir la Corée du Nord. Ces nouvelles mesures sont la poursuite des actions engagées par le Conseil de Sécurité après qu’elle ait lancé son missile à trois étages en décembre 2012.

Malgré ces mesures visant la Corée du Nord, l’attitude de la Chine n’annonce probablement pas un changement majeur dans sa politique. Pour le moment elle a encore besoin de la Corée du Nord, qui lui sert de tampon face aux forces armées sud-coréennes et états-unienne. De plus la Chine a cherché à développer la Corée du Nord en tant que « province orientale » à salaires bas. Le vote à l’ONU contre la Corée du Nord ne coûtent rien à la Chine tout en redorant son image en tant qu’« acteur responsable ».

L’opposition de la Chine au militarisme nord-coréen contribue également à apaiser la Corée du Sud, qui est pour la Chine un partenaire économique beaucoup plus important que la Corée du Nord. De plus, la Chine sait que la belligérance de la Corée du Nord ne fait que fournir aux États-Unis un prétexte pour renforcer leurs alliances et leur présence militaire en Asie. Le « tournant vers l’Asie » d’Obama vise d’abord à saper l’influence de la Chine dans la région — juste au moment où Pékin cherche à étendre son influence politique et militaire afin qu’elle corresponde à son poids économique croissant.

Les autorités chinoises peuvent s’opposer au développement nucléaire de la Corée du Nord, mais cela ne signifie pas qu’ils pensent que Kim Jong Un est fou ni qu’ils prennent partie contre lui. Ils reconnaissent que le régime nord-coréen a construit ses bombes et ses missiles en réponse aux provocations états-uniennes. L’agence de presse officielle de la Chijne, Xinhua, a publié en février un éditorial astucieux résumant la situation (6) : « Les États-Unis devraient sérieusement réfléchir à propos du dernier essai nucléaire de la République populaire démocratique de Corée, qui a été le résultat de l’antagonisme de longue date entre ces deux pays. » Selon « les analystes chinois », poursuit Xinhua, « l’histoire a prouvé qu’un pays menacé par la force et les sanctions cherche à maintenir et à poursuivre le développement des ses forces armées ». Et, selon un « spécialiste de Pékin », dit encore l’agence de presse officielle, « le véritable objectif de l’essai nucléaire de la République populaire démocratique de Corée était les États-Unis et non la Chine ou la Corée du Sud ». « “La situation actuelle en Asie du Nord-Est est déséquilibrée — a déclaré Ruan Zongze, directeur adjoint de l’Institut chinois des études internationales — car la Corée du Nord et la Japon bénéficient du parapluie nucléaire américain. En même temps, si les forces militaires de la Corée du Sud et du Japon ne sont pas négligeables, la pression sur la sécurité de la Corée du Nord vient avant tout des États-Unis, qui sont la véritable cible de sa dissuasion nucléaire”. »

Comme toujours, la situation en Corée est complexe car elle n’implique pas seulement les Coréens. Durant des siècles les grandes puissances ont tenté d’influencer de l’extérieur les événements dans la péninsule. Une chose est cependant claire : la crise actuelle est le produit des États-Unis.

Le 15 mars 2013

* David Whitehouse est journaliste à Socialist Worker, hebdomadaire édité par International Socialist Organisation (ISO) des États-Unis. Cet article a d’abord paru dans Socialist Worker

Traduction : J. M

Notes

1. http://www.fpif.org/articles/lurching_towards_war_a_post-mortem_on_strategic_patience

2. http://english.chosun.com/site/data/html_dir/2012/04/06/2012040600891.html

3. http://www.nytimes.com/2012/04/20/world/asia/south-korea-confirms-deployment-of-cruise-missile.html?_r=0

4. http:// www.defense.gov/news/Defense_Strategic_Guidance.pdf

5. http://www.atimes.com/atimes/Korea/KOR-01-270213.html

6. http://news.xinhuanet.com/english/world/2013-02/17/c_124351192.htm