Il aurait bien aimé que ce soient des conflits d’ordre « ethnique » qui dominent la scène politique de son pays... Mais manque de bol, ces dernières semaines, c’est le front social qui est entré en ébullition en Côte d’Ivoire, alors que son président, Alassane Dramane Ouattara (« ADO »), a laissé entendre début janvier qu’il pourrait se retirer à la fin de son mandat 2015-2020.
Ouattara était arrivé au pouvoir en avril 2011, grâce à une intervention directe de l’armée française qui avait pris d’assaut le palais présidentiel, arrêtant son prédécesseur Laurent Gbagbo. Auparavant, les deux hommes s’étaient disputé les résultats de l’élection présidentielle d’octobre et novembre 2010, chacun revendiquant la victoire. En réalité, cette élection n’en méritait tout simplement pas le nom, ayant lieu dans un pays de facto coupé en deux par une guerre civile et sous le contrôle d’hommes en armes. Dans le nord (au-delà de Bouaké), des troupes « rebelles » alliées à Ouattara contrôlaient le territoire et pratiquaient un pillage économique. Dans ces zones, Ouattara obtint des résultats presque « soviétiques »... Laurent Gbagbo, lui, avait annulé en bloc tous les résultats de trois provinces du nord et validé ceux du reste du pays... À la fin, c’est le pouvoir des armes qui a tranché, et c’est l’armée française qui les tenait !
Fin octobre 2015, Ouattara a réussi à se faire réélire de façon moins contestable, mais avec une forte abstention. Aujourd’hui les déboires s’accumulent. La crise économique pointe son nez, intimement liée à la chute du prix du cacao sur les marchés internationaux, car de ce produit agricole dépendent 50 % des recettes d’exportation et 15 % du PIB du pays. Or, son prix international s’est nettement dégradé en 2016. Les exportations ont été presque stoppées, et depuis novembre dernier, des cargaisons de cacao invendu ont commencé à boucher le port d’Abidjan. Actuellement, le pays se retrouve avec 400 000 tonnes de cacao invendues sur les bras...
Instabilité des prix, instabilité sociale...
Historiquement, il existe des mécanismes de « stabilisation » des prix pour les producteurs, permettant aux paysans de ne pas couler économiquement en cas de chute du prix. La « Caistab » (Caisse de stabilisation), qui engrangeait une fraction des prix de vente lorsque ceux-ci étaient élevés afin de verser une compensation aux producteurs lorsque ces prix étaient en chute, a été dissoute dans les années 2000. La pression des marchés français et anglo-saxons, qui y voyaient là un mécanisme anticoncurrentiel, a joué, mais aussi la corruption de la bureaucratie de ces caisses qui avait fini par manger une partie des avoirs... Mais d’autres mécanismes similaires sont censés avoir pris la place de la « Caistab » disparue. Actuellement, les autorités disposeraient de 140 milliards de francs CFA (soit plus de 200 millions d’euros) réservés pour stabiliser les prix intérieurs. Mais les producteurs n’en ont pas encore vu la couleur, et selon des rumeurs persistantes, il est probable que les avoirs aient déjà été « bouffés », ce qui annoncerait une crise majeure.
En attendant, l’agitation sociale a gagné le pays tout au long du mois de janvier. En dehors des mutineries répétées de militaires réclamant des soldes dues ou des primes (dont le versement a du coup été entamé le 17 janvier), les fonctionnaires civils se sont mis dans la danse, entamant des mouvements de grève. Ainsi, autour du 20 janvier, l’administration civile, les hôpitaux publics et l’enseignement étaient touchés par une forte vague de grèves. À leur tour, les pompiers ont manifesté le 23 janvier. Le gouvernement a été obligé de lâcher du lest, alors que l’intersyndicale réclamait entre autres le versement d’arriérés de bonifications salariales... promis depuis 2009 (le solde s’élevant à 200 milliards de francs CFA, soit 300 millions d’euros) et l’augmentation de 150 points d’indice, déjà actée dans le passé. Le 26 janvier, les syndicats et le gouvernement se sont mis d’accord sur une méthode de règlement, et la grève a alors commencé à reculer. Mais rien n’est réglé...