(Entretien de l'Anticapitaliste : le mondial de la honte)
Alors que Macron et quelques autres veulent nous faire croire qu’il ne faudrait pas « politiser le sport », la coupe du monde au Qatar nous démontre, à l’inverse, à quel point une telle compétition est éminemment politique, à tous les égards.
Mercredi 23 novembre, les onze joueurs de l’équipe allemande de football ont pris la pose, la main sur la bouche, avant le début de leur rencontre contre le Japon. Celles et ceux qui avaient suivi l’actualité des jours précédents ont compris que, par ce geste, les joueurs entendaient dénoncer la FIFA qui leur avait interdit, ainsi qu’à au moins six autres équipes, de porter un brassard « One love », symbole de la lutte contre les discriminations racistes et sexuelles. Par cette décision, la FIFA entendait ne pas froisser le Qatar, pays hôte de l’événement, dans lequel des centaines de milliers de travailleurs étrangers sont dans une situation que nombre d’ONG qualifient d’« esclavage moderne », et où l’homosexualité est passible de sept ans de prison.
« Il ne faut pas politiser le sport »
Cet épisode a joué un rôle de révélateur, à bien des égards, du fait que, n’en déplaise à certains, un événement planétaire comme la coupe du monde de football ne peut échapper à la politique. On pourra ainsi rappeler le silence des joueurs iraniens durant l’hymne national joué avant leur match face à l’Angleterre, les drapeaux palestiniens brandis dans les tribunes des stades et l’accueil glacial réservé aux journalistes israéliens par nombre de supporters, ou encore, dans un tout autre style, l’invitation à siéger à ses côtés, lors de la cérémonie d’ouverture, faite par l’émir du Qatar au prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, et au dictateur égyptien Sissi, artisans d’un blocus contre l’émirat entre 2017 et 2021. Tous ces moments, plus ou moins symboliques, jouent en réalité un rôle éminemment politique, la coupe du monde étant une formidable caisse de résonance au niveau mondial.
Les déclarations de Macron selon lesquelles « il ne faut pas politiser le sport » n’en apparaissent que plus ridicules et décalées. Le sport est politique, la coupe du monde est politique, et Macron est bien placé pour le savoir, lui qui préside un pays qui a pesé de tout son poids pour que la compétition soit attribuée au Qatar en décembre 2010. Macron est en outre très bien placé pour savoir que, du point de vue de l’émirat lui-même, cette coupe du monde est éminemment politique, puisqu’elle s’inscrit dans une stratégie de soft power destinée à « vendre » le Qatar à l’étranger, qu’il s’agisse d’attirer les investisseurs ou d’organiser les investissements qataris.
Qatar et soft power
Comme le rappelait le journaliste Mickaël Correia dans nos colonnes1 : « Le Qatar est un énorme producteur pétro-gazier, qui sait que, d’ici quelques dizaines d’années, ses réserves, notamment de gaz, vont être épuisées, et qui a donc besoin d’investir son capital dans des sources de revenus diverses. À ce titre l’Europe, et notamment la France, sont de véritables territoires d’investissement pour eux, et le Mondial sert à redorer le blason d’un pays anti-démocratique et autoritaire. »
La France occupe en effet une place importante dans ces investissements, ce qui explique les déclarations hypocrites de Macron et les pressions exercées par la Fédération française de football pour que l’équipe de France se tienne à carreau. Et l’on ne peut que constater que, contrairement à d’autres, les Français sont de « bons » élèves, le capitaine Hugo Lloris allant jusqu’à se fendre de cette déclaration pour expliquer son refus de porter le brassard « One Love » : « Lorsqu’on accueille des étrangers en France, on a souvent l’envie qu’ils se prêtent à nos règles et respectent notre culture. J’en ferai de même lorsque j’irai au Qatar. » Misère…
Gageons que, malgré la veulerie de certains, cette coupe du monde sera l’occasion de renforcer la critique du sport-business, de la marchandisation du football, de la normalisation des dictatures par l’attribution des compétitions sportives, et de rappeler cette vérité que d’aucuns voudraient nier : le sport est politique, la critique de la coupe du monde est politique et, que l’on aime le foot ou non, c’est l’occasion de faire de la politique.
- 1. Entretien dans l’Anticapitaliste n° 638 (24 novembre 2022).