L’alliance militaire entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS) montre que ces derniers n’ont pas renoncé à des initiatives internationales pour défendre leurs intérêts.
Dans le cadre du projet AUKUS, un contrat portant sur la vente de 12 sous-marins français à l’Australie a été abruptement rompu. Pour Paris, cette transaction de 56 milliards d’euros était principalement justifiée par des intérêts économiques. La zone Indo-Pacifique est avant tout un grand supermarché pour l’industrie militaire tricolore. Illustration de ce commerce, la vente à l’Inde de 36 avions Rafale (7,8 milliards d’euros) et de deux sous-marins Scorpène (2,6 à 3,4 milliards d’euros), la vente de six corvettes Gowind à la Malaisie (2,4 milliards de dollars), pour ne citer que les plus importantes.
Pas de politique de désarmement
La France entretient par ailleurs une importante force de dissuasion nucléaire sous-marine et ne pratique pas vraiment une politique de désarmement et de paix. Son arsenal n’est jamais remis en cause par les principales forces politiques. Fabriquer et vendre des armes est toujours présenté comme un négoce honorable, à gauche comme à droite. Quand la France cite l’indépendance par rapport aux USA pour justifier sa stratégie, il ne s’agit que d’un prétexte pour les marchands de la mort de l’industrie nationale afin de continuer leur profitable production. AUKUS ne concerne normalement pas l’usage d’armes atomiques, les futurs sous-marins australiens étant équipés de missiles Tomahawk conventionnels. C’est du moins ce qui a été annoncé. Par contre, l’application du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) sera plus ardue. Entré en vigueur en 1970, celui-ci encadre l’armement, le droit d’accès à l’énergie nucléaire ainsi que les transferts technologiques. La propulsion de navires par l’énergie nucléaire est une zone d’ombre du traité. Seuls six pays au monde combinent l’usage de submersibles à propulsion nucléaire et celui de l’arme atomique (Chine, États-Unis, France, Inde, Royaume-Uni, Russie). Cette combinaison leur permet, sur le plan militaire, d’avoir une force de dissuasion nucléaire permanente et quasiment invulnérable.
La confrontation USA-Chine, jusqu’où ?
Incapables de réagir sur le plan économique, les USA tentent de définir une nouvelle politique d’intimidation en Asie, en la présentant comme une ligne de défense. Mettre en difficulté l’économie chinoise en réduisant ses possibilités d’exportation, affaiblir son influence en Asie, limiter le projet des routes de la soie révèlent plutôt la faiblesse économique et commerciale étatsunienne. Semer des obstacles à l’influence chinoise ne donne pas automatiquement des avantages à l’économie étatsunienne, ni des possibilités de remplacer ces marchés.
Le Pacifique est depuis 1945 une zone sous contrôle permanent des USA. Sa puissance navale est considérable (porte-avions, sous-marins d’attaque, force de dissuasion nucléaire), à laquelle il faut ajouter les forces alliées (Corée du Sud, Taïwan, Japon) et ses bases dans la région (Okinawa, Guam). La décision australienne ne modifie pas substantiellement ce rapport de forces. L’opposition à la Chine est surtout un moyen pour Joseph Biden de renforcer son image au plan intérieur. Et d’envoyer un nouveau signal d’alarme à Pékin.
Poubelle atomique ?
Pour l’Australie, une nouvelle opportunité s’offrirait sur le plan économique avec cette ouverture dans le domaine nucléaire. Son vaste territoire désertique pourrait devenir l’entrepôt mondial pour les déchets hautement radioactifs. Les submersibles étatsuniens, comme leurs équivalents chinois et français, utilisent de l’uranium hautement enrichi (UHE). La maîtrise du maniement de matières fissiles servirait à développer un secteur industriel de traitement et de stockage, indispensable pour beaucoup de pays, en premier lieu pour les États-Unis, où le parc de centrales nucléaires civiles est encore très important. Déchets auxquels viennent s’ajouter ceux de l’usage de la propulsion nucléaire des sous-marins et porte-avions.
À court terme, AUKUS constitue une double menace. La première est de provoquer une escalade sur le plan militaire, aux USA comme dans d’autres pays de la région (Japon, Corée du Sud, Taïwan, Inde, et bien sûr Chine). Entamer une nouvelle course aux armements est certainement un objectif pour le complexe militaro-industriel étatsunien, qui verrait ainsi s’ouvrir de nouveaux débouchés. À l’heure de la lutte contre la misère et le réchauffement climatique, ces nouvelles dépenses ne sont pas une bonne nouvelle.
Un deuxième danger de cette escalade antichinoise concerne l’exacerbation du nationalisme et des courants politiques réactionnaires à l’intérieur des pays asiatiques. La défense des frontières et l’agitation des drapeaux nationaux dans des pays dominants n’a jamais été une période favorable à la justice sociale et à l’émancipation humaine.
Publié dans le n° 395 de solidaritéS (Suisse)