Cela pourrait presque être un gag si nos droits et libertés n’en étaient pas les premières victimes...
Les révélations de WikiLeaks relayées par Mediapart et Libération au sujet des écoutes téléphoniques secrètes des présidents français et du personnel politique entre 2006 et 2012 ont provoqué une belle gesticulation au sommet de l’État. Au même moment, les mêmes organisaient un vote solennel à main levée à l’Assemblée nationale validant sans surprise et dans une quasi-indifférence des députés, la loi sur le renseignement qui autorise, à une échelle de masse, la surveillance de la population. Deux poids deux mesures.
Beaucoup d’agitation pour peu de conséquences...
Les dirigeants et personnels politiques ont été espionnés par la NSA sur des questions portant sur la diplomatie, l’économie, les politiques régionales... Le Président de la République et le Premier ministre ont dénoncé « une attaque contre la souveraineté française », se sont montrés indignés qu’un « grand ami et allié » comme les États-Unis puisse ainsi écouter secrètement leurs conversations téléphoniques. Les démonstrations de mécontentement sont allées bon train : réunion du conseil de défense, convocation de l’ambassadrice des USA, multiplication des discussions entre les membres de l’exécutif français et leurs homologues américains. Et pourtant...
Chaque pays possède ses services secrets et espionne à l’extérieur et à l’intérieur de ses frontières. Mais dans ce système économique, dans la concurrence acharnée entre tous les capitalistes, il y a les géants et les nains. Et le géant est étatsunien. Dès 1952, les USA se sont dotés d’une pieuvre gigantesque : la NSA au statut volontairement flou et secret et aux prérogatives quasi illimitées. Riche de 40 000 techniciens et d’un budget de 10 milliards de dollars, l’agence collecte des métadonnées électroniques à grande échelle à l’intérieur... et à l’extérieur des États-Unis.
Aujourd’hui elle est censée empêcher les actes de terrorisme sur le territoire américain et contre ses ressortissants à l’étranger. Mais comme pour tous les services secrets, l’impact réel sur la prévention du terrorisme est faible : moins de 6 % des actes terroristes ont pu être évités grâce à son action. L’essentiel de son activité est l’espionnage des cibles économiques et politiques à l’extérieur et le contrôle des opposants à l’intérieur. La haute technicité de ses personnels et l’utilisation de moyens technologiques sophistiqués et modernes en font l’agence de renseignement la mieux informée et la plus performante au monde. Cela donne des avantages importants en termes d’économie et de diplomatie sur tous les autres États de la planète, ce qui ne devrait pas étonner les dirigeants français : en termes de capitalisme, le plus fort c’est toujours le plus riche, et c’est aujourd’hui encore les États-Unis.
Mais si le gouvernement français est aussi mécontent qu’il veut le montrer, il aurait pu agir. Par exemple en autorisant la mise en place d’une commission d’enquête, comme l’a fait l’Allemagne, ou en remettant en cause le traité transatlantique... Mais l’indignation a ses limites !
Et peu d’agitation pour des conséquences gravissimes !
Au même moment, Valls défendait une nouvelle fois la loi sur le renseignement à l’Assemblée nationale. Cette loi très large est un bouleversement politique sur la manière dont elle est adoptée et sur son contenu. Sur la forme, c’est la deuxième fois cette année qu’une procédure d’exception est utilisée : après la loi Macron, elle aussi extrêmement globale, votée au moyen du 49-3, la loi de renseignement est passée en accéléré, sans le temps du débat ni public ni parlementaire.
La DGSE et le rapporteur PS Urvoas ont même tenté d’intégrer deux amendements nouveaux, jamais présentés : l’un transformait les surveillants de prison en agents de renseignement et l’autre autorisait la surveillance des étrangers vivant en France sans la saisine de la CNCTR, cela sans qu’ils soient même soupçonnés d’intention de commettre un acte terroriste. Au fond ces deux amendements disent exactement à quoi doit servir cette loi : elle doit transformer les agents de l’État en flics et surveiller les pauvres et les étrangers. Parce qu’ils sont pauvres et/ou étrangers, c’est donc une loi à caractère raciste.
Quoi qu’en dise Valls, cette loi est calquée sur le fond sur le Patriot Act américain : elle a la même fonction de légalisation et de systématisation d’une série de pratiques liberticides. Fin de l’État dit social, fin de l’État dit de droit, les deux vont de pair.
Visiblement les dirigeants du monde s’offusquent d’être écoutés, mais il leur semble par contre juste de surveiller un maximum de leurs citoyens !
Roseline Vachetta