Mardi 7 mars, puis dimanche 12, des émeutes ont éclaté un peu partout en Égypte, à Alexandrie, Imbaba au Caire, Guizeh...
Les voies de chemin de fer entre Minia et Dessouk et Le Caire ont été coupées, des bâtiments officiels comme les antennes du ministère de l'approvisionnement encerclés et des heurts avec la police ont eu lieu aux cris de « Nous voulons manger, nous voulons du pain ! ». Après une accalmie, les heurts ont repris dimanche 12. La raison : les cartes d'approvisionnement en papier ne permettaient plus d'obtenir qu'un tiers de la quantité de galettes subventionnées alors que les cartes électroniques n'étaient pas affectées. Les plus pauvres n'ont jamais pu les obtenir parce qu'il fallait payer des pots de vin pour les avoir. Il faut savoir que le pain est la principale source d’alimentation de la grande majorité du peuple égyptien qui n'a guère les moyens d'acheter autre chose ; en dialectal égyptien « pain » se dit d'ailleurs « 'aïch », c'est à dire « vie ». C'est pourquoi depuis de très longues années les gouvernements successifs l'ont toujours subventionné de peur des émeutes. Cette fois-ci Sissi a obéi aux ordres du FMI qui a mis entre autres conditions la suppression des subventions pour accorder à l’Égypte un prêt de 12 milliards de dollars. Le mécontentement gronde depuis l'automne parce que la dévaluation de la livre de près de 50 % et sa flottaison ont engendré une inflation telle (20 % : chiffre officiel mais sûrement plus élevé) que la plupart des denrées alimentaires de base comme le riz et le sucre étaient soit introuvables soit hors de prix. On estime à 41,7 % l'augmentation en un an des denrées alimentaires. De la même façon que pour le pain les subventions pour l'électricité ont été progressivement réduites(augmentation des tarifs de 20 % en décembre et de 40% prévue début juillet) ce qui fait que les employés chargés de relever les compteurs et de faire payer les factures ne s'aventurent plus dans certains quartiers de peur de se faire lyncher. Les salaires n'ont évidemment pas été revalorisés et il est donc sûr qu'un grand nombre de personnes vont rejoindre les 28 % de la population qui vit déjà sous le seuil de la pauvreté. L'approche de ramadan fin mai, mois où traditionnellement les prix flambent, risque de ne pas arranger les choses.
Ces émeutes du pain interviennent quelques jours à peine après l'annonce de l’acquittement de Hosni Moubarak poursuivi pour avoir donné l'ordre de tirer sur les manifestants de Tahrir. Ses coaccusés, son ancien ministre de l'intérieur et plusieurs responsables des services de sécurité, ont également été acquittés. Le pouvoir en place pense mettre ainsi un terme définitif au soulèvement de 2011 : il se trompe lourdement parce que les revendications de l'époque « Pain, liberté et justice sociale ! » sont plus que jamais d’actualité.
Une grave crise économique
L’Égypte est toujours confrontée à une grave crise économique. Les revenus du tourisme et du Canal de Suez n'ont toujours pas retrouvé le niveau d'avant 2011. Pour aggraver les choses les autorités ont annoncé une augmentation du visa de tourisme de 25 USD à 65 USD qui devait intervenir le 1er mars, mais devant le tollé provoqué chez les professionnels du tourisme la mesure a été reportée au 1er juillet. Le pays a de gros problèmes d'approvisionnement en hydrocarbures en attendant l'exploitation du champ gazier d'El Zor, et les envois de devises des travailleurs émigrés égyptiens ont considérablement baissé.
L'indice de fécondité reste élevé (3,5) d'où une population qui devrait atteindre 165 millions d'habitants en 2050, ce qui est très inquiétant compte tenu de la situation économique précaire et du chômage de masse des jeunes aggravé par le récent programme de réduction des effectifs de la fonction publique. Le Caire est considéré comme la ville à la croissance démographique la plus rapide du monde et verra sa population augmenter d'un demi million d'habitants en 2017.
Le Sinaï est devenu une zone de non-droit où prolifèrent les trafics d’êtres humains, d’organes, d’armes, de drogue et où sévit la branche égyptienne de Daech. Pas de semaine sans que des policiers ou des militaires ne soient tués mais surtout, depuis la mi février, Daech vise explicitement tous les Coptes d'Egypte. ( environ 10 % de la population égyptienne). Sept d'entre eux, tous civils, ont été assassinés à El Arich, la grande ville du nord du Sinaï. La quasi totalité des Coptes (environ 200 familles) de la ville ont donc fui vers Ismaïlia (entre Port Saïd et Suez) pris en charge presque entièrement par leur communauté.
Une riposte qui s'amorce
Malheureusement, avec la répression féroce de toute contestation par l'appareil d'un état militaro-policier, les 60 000 prisonniers politiques, la fermeture de la quasi totalité des associations et organisations non gouvernementales qui œuvraient pour les droits humains, il paraît difficile que le mécontentement, aussi virulent qu'il soit, débouche à court terme sur autre chose que sur des émeutes violemment réprimées. La situation sociale et politique exige d'offrir une perspective crédible à un peuple à bout. L'éviction des Frères Musulmans de la scène politique a radicalisé une partie de ses membres, surtout des jeunes. Comme l'écrit Gilbert Achcar dans son dernier livre Symptômes morbides : « En Egypte, comme dans l'ensemble de la région arabe, l'alternative demeure, plus que jamais, un changement progressiste radical social et politique ou une aggravation du choc des barbaries. » Cela va dépendre de la capacité du syndicalisme et des partis laïques et progressistes à se réorganiser de manière bien plus supérieure qu'entre 2011 et 2015 en toute indépendance.
C'est ce que tente la campagne « Nous voulons vivre » dont le congrès inaugural a eu lieu à la mi-janvier et dont l'objectif est de lutter pour les droits sociaux des Egyptiens, particulièrement les travailleurs. Cette initiative regroupe des partis politiques comme les Socialistes Révolutionnaires ou Pain et Liberté, des ONG et des organisations syndicales comme l'Union égyptienne des travailleurs du pétrole ou le Front de défense des journalistes. Ils dénoncent le prêt du FMI accordé à l'Egypte et le programme de réformes qui l'accompagne et pointe la responsabilité du gouvernement qui a fait « le choix politique » de l'appauvrissement de la population.
D’ Alexandrie, Hoda Ahmed