Publié le Dimanche 6 avril 2014 à 12h08.

Égypte : folie répressive

Lundi 24 mars, 529 personnes ont été condamnées à mort. Il s’agit de la plus importante condamnation à la peine capitale de l’histoire de l’Égypte, et peut-être du monde.

La décision était en fait déjà prise avant même l’ouverture du procès. Les avocats n’ont eu que 24 heures pour préparer la défense, et ils ont même été finalement empêchés d’assister à l’audience. Le jugement a été prononcé sans qu’aucun prévenu ait été interrogé, aucun témoin appelé à déposer et aucune preuve à charge présentée.

Un simulacre de justiceCette sentence intervient quelques jours après que deux des trois policiers, qui ont tué délibérément 37 prisonniers le 18 août 2013, aient été condamnés à seulement un an d’emprisonnement avec sursis. Le troisième étant le seul policier à avoir écopé d’une peine de prison ferme depuis la destitution du président islamiste Morsi le 3 juillet.Les 529 condamnés à mort sont des membres déclarés ou présumés des Frères musulmans. Ils sont accusés d’avoir participé à la prise d’un poste de police et du meurtre d’un officier après la dispersion d’un rassemblement au cours de laquelle la police avait causé environ 400 morts, le 14 août dernier.Quels que soient les faits qui leur sont reprochés, quels que soient les crimes commis par les Frères musulmans, notamment pendant les 12 mois où ils ont été au pouvoir, rien ne saurait justifier une telle sentence. Et cela d’autant plus que s’est ouvert le 25 mars le « procès » de 683 autres personnes.

Un climat de répression généraliséeLes islamistes ne sont pas les seuls à être réprimés, jetés en prison et torturés. La répression touche également des centaines de révolutionnaires, et notamment des jeunes dont le seul crime est d’avoir participé à des manifestations pacifiques. L’objectif des militaires n’est en effet pas seulement de détruire la Confrérie islamiste. Il est également de faire taire et de dissuader toute contestation avant les prochaines élections présidentielles à l’issue desquelles Sissi se voit imperator.Avec ces condamnations et cette répression barbares, Sissi et l’armée ont clairement l’objectif de geler d’effroi la société égyptienne. Ils veulent mettre définitivement un terme au processus révolutionnaire ouvert avec la chute de Moubarak. Il leur faut stabiliser la situation en faveur de l’ordre, de leurs intérêts économiques, de leur appareil d’État. Mais y réussiront-ils alors que le régime doit faire face à une situation sociale particulièrement tendue ?

Une vague persistante de grèvesDepuis deux mois, de multiples grèves éclatent dans un grand nombre de secteurs. L’obtention d’un salaire minimum en est la principale revendication. S’y ajoute souvent la demande de renationalisation d’entreprises privatisées ou le départ de dirigeants en place.Ces luttes s’assoient sur les lois répressives qui interdisent grèves et manifs, et montrent que le pouvoir n’est pas si fort que ça, ouvrant des espaces de liberté. Ainsi, après plusieurs semaines de grèves locales, la poste égyptienne est partie en grève générale reconductible le 23 mars, à environ 80 %.Face à ce refus massif de la politique économique et sociale du pouvoir, celui-ci manie la carotte et le bâton afin d’empêcher que les luttes se coordonnent (1).

Quelle alternative politique ?Ceux qui, comme les Socialistes révolutionnaires s’opposaient à la fois au régime militaire et à l’ancien régime islamiste, se sont retrouvés isolés et persécutés. Une grande partie de la population justifiait en effet la répression envers les Frères musulmans. Il en allait de même de la plupart des libéraux, démocrates, nassériens ainsi qu’une partie de la gauche. Si le libéral El Baradei a démissionné de son poste de vice-président de la République au lendemain des massacres du 14  août 2013, le nassérien et ancien syndicaliste indépendant Kamal Abou Aïta y a participé jusqu’au 24 février.Un nombre croissant d’Égyptiens s’expriment maintenant publiquement contre la politique du pouvoir. Le candidat nassérien à la présidentielle Hamdeen Sabbahi ose rendre Sissi responsable – au moins en partie – de tout ce qui ne va pas en Égypte, ce qui aurait été impensable il y a quelques mois et lui aurait valu une condamnation sévère.Reste à savoir si les forces de gauche parviendront à clarifier leurs positions, s’insérer dans les luttes en cours, et proposer une alternative politique crédible à la population.

Dominique Lerouge

1 – Voir à ce sujet : http ://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-le-mouvement-de-greves-continue-et-change-peu-a-peu-lambiance-politique-du-pays.html