Publié le Lundi 24 avril 2017 à 10h28.

Égypte : Nouveaux attentats contre les coptes

Dimanche 9 avril, jour des Rameaux, deux attentats contre les coptes 1 ont eu lieu : l’un à Tanta, une grande ville du Delta, et l’autre à Alexandrie.

 

Bilan : 45 morts et 126 blessés. Ces deux attentats ont été revendiqués par Daech, groupe de la province du Sinaï qui avait déclaré en février que les Coptes seraient leur cible prioritaire.

Les forces de sécurité ont notoirement failli dans la mesure où déjà à Tanta, le 31 mars, un attentat contre un poste de police avait fait 16 blessés et une bombe avait été désamorcée dans la même église une semaine plus tôt sans que les mesures de sécurité soient renforcées. Les coptes, très en colère, ont dénoncé l'incurie des forces de sécurité et exigé la démission du gouverneur et du ministre de l'intérieur. La colère est d'autant plus grande que ces attentats interviennent après l'attentat de l'église Botrossia au Caire et surtout après l'assassinat des 7 coptes d'El Arich, la ville du Nord Sinaï provoquant l'exode de la quasi-totalité des familles faute de protection par les autorités.

Après un discours officiel qui reconnaissait les manques, rapidement les vieux réflexes ont repris le dessus, un journal proche pourtant du gouvernement, el Bawaba, a été saisi deux jours de suite parce qu'il pointait les manques de sécurité. Dès le lendemain Sissi s'est saisi de l'occasion pour obtenir du parlement qu'il vote l’état d'urgence pour trois mois ainsi qu'un amendement permettant la détention administrative illimitée. Pour les militants de l'EIPR (Egyptian Initiative for Personnal Rights) c'est un triste retour aux heures sombres sous Moubarak où l’État d'urgence a duré 30 ans et la fin des quelques garanties individuelles assurées par la constitution de 2013. Le pouvoir exploite au maximum la question du terrorisme pour justifier toutes ses mesures liberticides ainsi que son rapprochement avec les Etats-Unis où, lors de sa visite officielle, Trump lui même a qualifié de « fantastique » le travail de Sissi.

Malgré une réponse massive du gouvernement pour éradiquer le groupe du Sinaï, les bavures militaires, les détentions arbitraires, les disparitions, les destructions d'habitations et les expulsions massives de civils soupçonnés de sympathiser avec les jihadistes provoquent de nombreux ralliements à Daech, certaines sources parlent même d'effectifs multipliés par cinq, ce que confirme l’élargissement de son champ d'action au Caire, à Alexandrie, aux grandes villes du delta et de la vallée du Nil.

Beaucoup de jeunes de Tahrir, faute de perspectives, se sont tournés vers le seul discours radical disponible, y compris les jeunes des Frères musulmans qui ne tolèrent plus les accommodements de leurs aînés, pour la plupart en exil.

L'objectif avoué de Daech est de provoquer un effondrement de l’État en jouant sur les clivages communautaires et de toucher au portefeuille en visant le tourisme qui reprenait tout doucement.

Depuis Sadate, les gouvernements successifs ont joué sur la fibre religieuse musulmane pour asseoir leur légitimité. Derrière le discours classique auquel on a droit après chaque attaque visant les coptes selon lequel l'Egypte est unie, que Musulmans et Coptes font un, les discriminations subsistent et les discours haineux contre les « polythéistes » ou les « Infidèles » sont tolérés. Bien plus grave : au delà des attentats qui font la une des médias, il faut savoir que depuis l'accession de Morsi au pouvoir en 2012, les pogroms contre les coptes n'ont pas cessé, à raison d'un tous les deux mois environ, aussi bien en Moyenne Egypte comme à Minya, que dans les banlieues des grandes villes comme El Amireya près d'Alexandrie. Le scénario est toujours le même : on accuse les coptes d'insulte à l'Islam, de vol ou encore pire de retenir contre son gré une coreligionnaire convertie à l'islam ; immédiatement ils sont attaqués, pourchassés sous l’œil complaisant de la police qui laisse faire et doivent fuir en abandonnant leur quartier ou leur village avec souvent leur église incendiée. Des commissions de « médiation » formées d'autorités religieuses se réunissent mais elles se terminent toujours par l 'exil définitif des familles coptes qui ne retrouvent jamais ni biens ni maisons. Mardi 11, c'est à dire seulement 2 jours après les derniers attentats, des maisons inhabitées appartenant à des coptes ont été incendiées à Kom El Loufy dans le gouvernorat de Minya et jeudi, dans le même village, des coptes qui sortaient d'une maison après la prière du Jeudi Saint se sont fait agresser et blesser par des Musulmans qui le leur reprochaient. Le pape Tawadros II, qui a échappé de peu à l'attentat d'Alexandrie, porte aussi une certaine responsabilité parce que contrairement à son prédécesseur Chenouda III il soutient Sissi depuis le tout début sans aucun recul critique, ce qui provoque le ressentiment de nombreux Egyptiens. Il faudrait avant tout un changement des mentalités avec pour première mesure une réforme profonde des programmes d'enseignement, particulièrement de la langue arabe entièrement imbibés d’islam obtus. Il semble qu'El Azhar, la plus haute autorité religieuse musulmane, réfléchisse depuis peu au statut des coptes, récusant la notion, selon eux dépassée, de protégés pour celui de citoyens de la nation égyptienne.

D’Alexandrie, Hoda Ahmed

Version longue.

  • 1. Coptes : du grec Aigyptos qui signifie Égyptiens, chrétiens représentant environ 10 % des 92 millions d’habitantEs. C’est la plus importante communauté chrétienne du Moyen-Orient.