Une révolution populaire a fait tomber un pouvoir islamiste. On ne mesure pas encore l'immense importance pour l'avenir qu'à, pour la première fois dans l'histoire, une participation de 30 à 40 % des adultes d'un pays à une révolution populaire qui renverse une dictature islamiste. Ce n'est pas seulement une dictature policière qui tombe, mais aussi une dictature dans les têtes, une police des mœurs et des esprits.C'est ce qui explique l'engagement massif des femmes (et des enfants) dans cette deuxième révolution. On peut s'attendre à ce que ne soit qu'un début. Déjà, dans la révolution égyptienne de 1919, les femmes avaient joué un rôle mémorable, et, à partir de là, le mouvement féministe égyptien s'était trouvé un temps moteur du mouvement féministe mondial. Les femmes arabes, instigatrices d'un renouveau du féminisme mondial ?
Un impact internationalLes Frères musulmans égyptiens sont la matrice d'où est sorti le mouvement islamiste mondial. Leur renversement par l'irruption du peuple sur la scène politique aura un impact sur l'équilibre géopolitique de toute la région. Les soubresauts violents en Égypte de l'énorme corps des Frères musulmans, en risque de dislocation, sont l'illustration de la profondeur de l'ébranlement.Quand, de la Turquie à la Tunisie, du Brésil à la Bosnie, les peuples cherchent les chemins de leur émancipation, le succès de la démocratie directe sur celle des bulletins de vote pourrait bien être contagieuse. Déjà naissent au Bahreïn et en Tunisie des tentatives de renouveler l'exploit de Tamarod. La dénonciation du coup d’État — en fait de la révolution — par les puissances occidentales illustre leur crainte.
Coup d’État militaire dans la révolution, risque de guerre civileEn février 2011, l'armée avait lâché Moubarak pour court-circuiter une grève générale. Le coup d’État militaire contre Morsi a eu le même but, non pas briser la révolution, mais l'empêcher d'aller jusqu'au bout en faisant elle-même tomber Morsi. Cela aurait ouvert un déferlement de revendications sociales s'attaquant aux possédants et donc à l'armée, le plus grand propriétaire d'Égypte.En juin 2012, dans une tentative de coup d’État contre la révolution, l'armée avait dû reculer devant la mobilisation populaire parce qu'elle craignait la révolte de ses soldats. Maintenant, en plus de la révolution, elle doit affronter la rage de l'appareil menacé des frères Musulmans, ce qui la fragilise un peu plus.Dans l'affrontement à trois — peuple, armée, Frères musulmans — qui caractérise la situation, les éléments de guerre civile qu'initient les deux derniers pourraient être mortels pour le peuple s'il s'y laissait entraîner.Mais, ce n'est pas fait. Au vu de bien des réactions populaires, les rivalités sanglantes entre l'armée et les islamistes, tout en s'épuisant l'un l'autre, pourraient avoir un effet inattendu : dégoûter un peu plus le peuple de ses deux adversaires et favoriser ainsi sa marche vers son autonomie politique.
La marche vers l'auto-organisation et une troisième révolution ?À la base des deux révolutions, la contestation sociale ne cesse pas en Égypte depuis plus de deux ans, avec une extension considérable des conflits sociaux depuis le début de l'année et des records historiques mondiaux de grèves et de protestations sociales. C'est cela qui fait le fond du succès de la campagne Tamarod et explique les millions d'Égyptiens dans les rues. Cette contestation sociale ne devrait guère attendre pour reprendre de plus belle. La faim n'a pas de patience.Mais pour le moment, c'est sa faiblesse, ce mouvement social n'a pas de représentation politique.En février et mars 2013 à Port Saïd, Mahalla et Kafr el-Sheikh, les habitants avaient pris en main la police, l'éducation ou la vie municipale mais que symboliquement. Ces derniers jours, des « comités populaires » divers ont pris en main la campagne Tamarod, puis la sécurité des millions d'hommes en mouvement, la sonorisation, l'alimentation, la circulation, l'hygiène. Ils ont resurgi les 5 et 6 juillet lorsque les résidents de certains quartiers sont descendus dans les rues pour se protéger des violences des Frères musulmans, les désarmer et empêcher les affrontements.Ces comités franchiront-ils une nouvelle étape demain, en unifiant laïcs et religieux autour de la question sociale, et en se donnant ainsi une voix politique ? C'est la clef de la situation.
Jacques Chastaing